De qui se moque-t-on ? Luc commence son évangile par une introduction dramatique et solennelle : « l’an 15 de l’empereur Tibère », et il cite le nom de tous les rois, gouverneurs, princes et grands-prêtres de l’époque. On a l’impression d’être dans un grand film hollywoodien avec fanfares et trompettes. Et tout cela pour dire quoi ? Que la parole de Dieu fut adressée dans le désert. Qui pourrait bien être intéressé par ce qui se passe dans le désert ? Vous imaginez cela : le soir, au journal télévisé, un journaliste parle des guerres et des grèves, et puis il annonce que Dieu a parlé à un ermite au fin fond des Ardennes. Voilà une belle nouvelle ! Qui pourrait bien s’intéresser à cela et qu’est-ce que cela peut changer à ma vie ?
Tibère, Pilate, Judée, Hérode, Galilée, Philippe, Iturée, Traconitide, Lysanias, Abilène, Hanne, Caïphe. A côté de ce tableau historique —et de cet exercice de lecture et de diction¬— Luc nous donne à entendre une voix, une personne, qui échappe aux prises de l’histoire, comme pour finalement l’inscrire dans notre histoire. Cette voix s’adresse à nous. Elle nous invite au désert, où rien n’est tracé, fixé, établi. C’est une voix prophétique à défaut d’être royale : celle de Jean-Baptiste. En reprenant les mots d’Isaïe.
Nous célébrons aujourd’hui la fête du Christ Roi de l’Univers. C’est l’occasion de nous poser la question : qui gouverne ? Qui gouverne notre cœur, notre vie ?
Le roi est celui qui incarne le gouvernement. C’est là sa définition. Gouverner c’est avant tout prendre des décisions, donner une direction à une action et finalement un sens à l’existence, au moins l’inscrire dans une certaine perspective. Et convenons d’appeler roi ou reine celle ou celui qui tient la barre, qui décide, qui gouverne. Celle ou celui qui finalement dit : « c’est par là qu’on va ».
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous avons encore besoin d’un roi. Je ne parle pas au niveau politique : je suis un fervent royaliste et monarchiste. Mais je me posais la question en entendant tous les discours actuels sur la formation des jeunes et des enfants. Près du couvent, il y a une antenne de l’ONE. Et sur les affiches de cet organisme on peut lire que l’enfant doit pouvoir trouver par lui-même les jeux et les activités qui lui conviennent. A l’université, on parle de plus en plus de parcours personnalisés et de choix faits par les étudiants pour l’organisation de leurs études. On parle d’ailleurs de moins en moins d’études, mais de formations.
Je suppose qu’il vous est déjà arrivé de feindre l’écoute ! Vous êtes pris par vos questions et vos soucis, quelqu’un vous parle et vous acquiescez, sans trop prêter l’oreille. C’est le lot de tout être humain… Nous faisons parfois semblant d’écouter mais notre cœur est un peu loin. Pire encore, nous pensons savoir à l’avance ce que l’autre va nous dire. J’imagine que c’est déjà arrivé à l’un ou l’autre d’entre vous… en voiture peut-être… ou durant une homélie !
Nous ne sommes pas seuls. Nous sommes portés et soutenus par la prière de tous les croyants, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Nous sommes comme des gouttes d’eau. Quand une goutte d’eau tombe seule du haut du ciel, elle tombe dans la terre et elle est avalée par la terre. Elle disparaît.
« ὀφθείς », tout est là dans ce mot de l’évangile. « ὀφθείς », qui est, en grec, le participe aoriste du verbe ὁράω, voir. « ὀφθείς », « Il s’est donné à voir » : c’est le mot que l’on trouve pour parler dans l’Évangile (Lc 24,34) des apparitions du Ressuscité. « Il s’est fait voir ». Toute notre foi tient dans ce mot « ὀφθείς ». Ils l’ont vu revenir d’entre les morts.
“ Que veux-tu que je fasse pour toi ? ” Méditation sur Mc 10, 46-52
Regarder et voir
Dans le bureau de vote, il y a quelques semaines, il fallait exprimer parmi le grand nombre de candidats, celui ou celle qui retient notre préférence. Tâche difficile, car que savons-nous au fond ? Nous avions vu des visages souriants, des promesses évidentes, des rêves de changements, des couleurs. La présidente voyant que je cherche une cabine appropriée, s’approche : “ Bonjour Monsieur, puis-je vous aider ?”. Sa prudente question me fait penser à celle que Jésus pose à Bartimée : “Que veux-tu que je fasse pour toi ?”. Je la regarde interrogativement, nous sourions tous les deux et je soupçonne que nos âges et nos capacités pour au moins ce jour, ne devraient pas trop différer : “Merci madame, c’est gentil, je puis me débrouiller”.
Eh bien ! Ils ne manquent pas d’air, nos deux fils de Zébédée. Ils ont la chance de vivre auprès de Jésus et il leur faut les plus belles places. Entendez par cela qu’ils souhaitaient avoir les premières places à la cour royale que Jésus allait rétablir quand il aurait pris le pouvoir en Israël et imposé sa domination. Les hommes recherchent, nous recherchons toujours les plus belles places. Regardez les adolescents : ils voudraient devenir des stars de cinéma ou de la chanson, être vus et regardés et admirés. Nous, on a compris. On préfère parfois rester dans l’ombre. C’est plus prudent. Pour vivre heureux, vivons cachés, voilà ce que dit la sagesse populaire.