6e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Mt 5, 17-37

« Je ne suis pas venu abolir la loi mais bien l'accomplir », nous dit Jésus ce matin, mais qu'est-ce à dire. N'y-a-t-il pas une contradiction dans les propos de Jésus. En quoi vient-il accomplir la loi, alors que ce qu'il demande semble aller bien au-delà de ce que les juifs devaient vivre pour respecter la loi ancienne. Comme si la loi nouvelle de Jésus était beaucoup plus exigeante que la loi de Moïse. Il y a une différence entre la loi de l'Ancien Testament et la loi nouvelle proposée par Jésus. La loi ancienne se vit par devoir, la loi nouvelle se vit par amour.

En accomplissant la loi, le Christ libère ses disciples de la loi c'est-à-dire qu'il l'inscrit à jamais au fond des coeurs. Le Christ inscrit la loi au fond des coeurs, parce qu'il dit à ses disciples que ce qu'ils faisaient auparavant par respect de la loi, c'est-à-dire par devoir, par soumission, tristement, ils le feront dorénavant par amour, c'est-à-dire librement. Par exemple : le respect de la vie était, dans la loi de Moïse, une contrainte, un impératif, un commandement : « Tu ne tueras point ». Cette loi devient, dans la bouche de Jésus, l'affirmation joyeuse de l'amour de l'autre, le respect de sa liberté, de la justice... « Vis, heureux es-tu ». Un peu comme dans cette formule de saint Augustin : « aime et fais ce que tu veux ». Si tu vis dans l'amour et par l'amour, tu n'as que faire des lois puisque tu aimes. L'amour devient ainsi la valeur par excellence. En effet, lorsqu'une vie est fondée sur des valeurs, elle s'enrichit et grandit. Les valeurs ouvrent le chemin de la tolérance, de la rencontre et du respect de la différence, même lorsque nous ne la comprenons pas. Il y a alors lieu de refusez les principes, ces derniers sont signes de mort et tuent la relation. Immanquablement, ils conduisent à l'intolérance et ils enferment l'être humain dans sa prison intérieure. Tristes principes que nous utilisons bien souvent, mais en fait pour nous protéger de nos propres angoisses. Tandis que ces valeurs qui nous habitent et font notre richesse sont portés par cette vertu qu'est l'amour de l'autre au nom de l'amour du Tout Autre. Et là, c'est la vie qui jaillit en vous et autour de vous.

Ceci revient à dire que nous pourrions appeler « principe » tout ce que nous faisons par devoir et « valeur » tout ce que nous faisons par désir et/ ou par amour. C'est pourquoi les valeurs nous libère des principes. Quelle mère nourrit son enfant par devoir, par principe ? On ne le fait pas par devoir mais par amour. L'amour y suffit et vaut mieux. D'ailleurs, tant qu'il y a de l'amour, tant qu'il y a du désir, nous n'avons pas besoin de devoir. L'amour libère des principes, l'amour libère de la loi. En nous disant qu'il est venu accomplir et non abolir, Jésus tente de nous montrer que la loi et l'amour ne s'opposent pas, mais sont deux moments dans un même processus : on commence par se soumettre à la loi puis on comprend qu'il est encore mieux de faire par amour ce qu'on nous a appris à faire par devoir. La loi et l'amour sont donc deux choses différentes mais pas opposées au sens où on devrait choisir entre les deux. La vérité, c'est que nous avons besoin des deux : quand l'amour est là, on n'a plus besoin de loi : nous n'avons besoin de loi que faute d'amour. C'est bien pourquoi nous avons hélas aujourd'hui encore terriblement besoin de lois parce que le plus souvent l'amour n'est pas là, le plus souvent l'amour brille par son absence. Un peu comme si Jésus nous disait ce matin, dans toutes les situations où nous ne sommes pas capables de vivre à la hauteur de l'amour, c'est-à-dire à suivre le Nouveau Testament, il nous reste à respecter au moins l'Ancien Testament, c'est-à-dire à nous soumettre à la loi. L'abolition de la loi conduit immanquablement à l'anarchie, au drame. Par contre, l'accomplissement de la loi conduit à l'amour inscrit dans le coeur de chacune et chacun. Principes ou valeurs ? Loi ou amour ? A nous de choisir ce qui conduit à la vie, mais à une vie en abondance.

Jeudi Saint

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 1998-1999

Etonnante cette fête du Jeudi Saint. Fête de l'eucharistie par excellence, fête des prêtres paraît-il également ? Et voilà que pour une telle fête nous sommes toutes et tous invités à méditer le texte du lavement des pieds. Qu'est-ce à dire si ce n'est peut-être remettre les pendules à l'heure. D'abord la fête du sacerdoce : le lavement des pieds par le Christ nous rappelle que ce sacerdoce est avant tout un service, un service d'Eglise de par notre baptême. Au risque de décevoir mes chers frères en Saint Dominique, mais je ne le crois pas, notre sacerdoce n'est pas un mieux, un plus qui fait de nous des super-chrétiens. Nous sommes de simples baptisés, même si trop souvent hélas, aujourd'hui encore, nous sommes d'abord considérés dans notre fonction de prêtre, c'est-à-dire plutôt comme des êtres ayant déjà trouvés Dieu. La fête de ce soir, nous rappelle que nous aussi, quel que soit notre ministère nous sommes toujours des chercheurs de Dieu. Sans plus ni moins. Des chercheurs de Dieu, avec leurs doutes et leurs convictions.

Des chercheurs de Dieu, qui par la spécificité de leurs ministères célèbrent ce mystère qui les dépassent complètement : celui de l'Eucharistie. Temps que nous nous offrons au coeur de nos vies, fête de l'amour extrême, célébration de l'amour jusqu'au bout pour reprendre les termes de l'évangéliste. L'eucharistie, signe visible de Dieu, nous pousse à aller au-delà de ce sacrement de la rencontre entre le Père et son humanité. Il est force offerte en vue du service. Service d'Eglise, service du monde. L'épisode du lavement des pieds nous convie à faire ce chemin d'humilité au coeur de ce que nous sommes pour nous rappeler que tout ce que nous faisons, nous avons à le vivre comme un service, un don de nous-mêmes pour quelque chose qui nous dépasse et qui cependant nous fait vivre. De par le baptême, chacune et chacun, nous sommes appelés sur le chemin de nos vies, trouvant force dans nos eucharisties, pour donner un peu de nous.

Trop souvent dans nos communautés, par ce que nous faisons, nous attendons la reconnaissance des autres, voire même leur admiration. Et voilà que Jésus ce soir nous rappelle que notre tâche est service, service au nom de l'amour jusqu'au bout. Nous nous trompons et nous trompons celles et ceux que nous croisons sur nos chemins d'humanité, et peut-être même trompons-nous Dieu, si les raisons de notre travail, du don de nous-mêmes sont avant tout besoin de reconnaissance, quête d'identité. Ces dernières viennent par elles-mêmes, elles ne sont pas à chercher, à trouver. Notre unique moteur, d'après le Christ, c'est l'amour. L'amour du service, l'amour des choses simples. En fait, l'amour de la vie.

Comme si l'épisode du lavement des pieds était une invitation à découvrir que tout est à faire par amour. C'est vrai, il y a des choses que nous essayons d'éviter de faire, et pourtant, lorsque nous aimons, cela ne nous pose plus aucun problème de le faire pour la personne aimée. Le fait d'aimer importe plus que le fait de faire. Laver des pieds n'a rien de fort amusant ; laver les pieds de l'être aimé change la perspective, puisque l'amour rendre l'être premier. L'action qui découle de cet amour est légère, toute empreinte de tendresse et ne se soucie pas d'elle même puisque la personne aimée reprend sa place au coeur de la rencontre. Quelque part, Dieu en son Fils est fou de nous demander une telle chose. Elle demande un sacré chemin d'humilité : celui de refuser d'entrer dans cette spirale incessante de la reconnaissance, de faire taire en soi cette quête égocentrique pour tout simplement accepter de servir, uniquement servir par amour. Comme si cette fête du Jeudi Saint était un petit clin d'oeil envoyé du Ciel pour nous chanter qu'en tant que baptisés, il n'est plus question de prestige, de droits, de notre dignité égoïste mais bien d'une vie au service de l'amour jusqu'au bout. C'est parce que le Christ nous a aimé, jusqu'au bout, qu'il a été capable de traverser les épreuves que nous commémorons ces jours-ci. Que cet amour de Dieu, transfiguré dans nos relations, soit ce qui anime en vérité nos vies. La dernière Cène, l'eucharistie peut alors être vécue comme la fête de l'amour par excellence. Un amour qui va au-delà de ce que nous sommes pour se vivre à jamais en Dieu.

Amen.

10e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Il y a quinze jours, dans cette Eglise, un frère dominicain dont je tairai le nom qui commence par un L et se termine par orenzo, se demandait si j'avais en moi l'Esprit Saint. Je lui renvoie l'ascenseur ce soir en cette fête du Corps et du Sang du Christ. Est-il quant à lui, et sommes-nous par la même occasion, le pain vivant dont nous parle l'Evangile ? Si à sa question, toutes et tous vous avez pu, je l'espère, répondre par l'affirmative dans la seconde qui a suivi ; à ma question, par contre, il nous faudra effectivement un petit peu plus de temps.

Et pour répondre à une telle question je voudrais faire un petit détour en vous racontant une histoire vraie, l'histoire de Jessica, petite fille aveugle qui il y a quelques mois a participé à un spectacle donné ici à Rixensart. Durant les répétitions, tout le monde s'occupait de Jessica. On la guidait, on était toujours près d'elle. Elle ne voyait pas, il fallait donc l'aider. Elle était celle qui avait le plus besoin des autres. Et on se sent tellement fort quand on voit. Puis vint le soir du spectacle, les enfant devaient rester en silence dans les coulisses. Et dans les coulisses, il faisait noir, très noir. Et souvent, quand on est un enfant, on a peur du noir. Plus encore, quand on ne peut pas faire de bruit. Jessica, elle, elle n'avait pas peur du noir puisque sa vie était une longue nuit. Ce soir-là, dans les coulisses, elle prit un livre écrit en braille et elle se mit à le lire doucement aux autres enfants. Elle n'avait pas besoin de lumière. Et voilà que soudainement, celle qui était la plus faible, devient par l'absence de lumière, la plus forte. Les autres enfants étaient émerveillés. Ils n'avaient plus peur du noir, Jessica leur racontait une histoire. Quel lien me direz-vous entre la fête de ce jour et cette histoire, si ce n'est le fait que j'avais envie de vous la raconter ? Il est tout simple.

L'enfant fragilisé par la vie, aux yeux des autres, est devenu source de force pour chacune et chacun. Le Christ s'est lui aussi fragilisé au point d'en mourir. Dieu a trébuché sur le bois de la Croix. Dieu ne s'est pas révélé dans la gloire mais dans une vulnérabilité qui dépasse toute compréhension. Jésus, en mourant sur la croix, en ressuscitant et en montant au Ciel savait que nous ne pourrions nous en sortir tout seul. Il nous a alors envoyé l'Esprit mais ce dernier n'est pas toujours aisé à déceler, à rencontrer. Il faut une disposition spéciale du coeur. C'est pourquoi, Jésus nous offrit sa chair et son sang. C'est ce que nous célébrons, nous nous rappelons chaque dimanche. Au cours de nos eucharisties, nous attachons beaucoup d'importance à la qualité du sermon. Nous estimons, à raison, que celui-ci doit nous nourrir pour la semaine. Le reste de la messe peut sembler être un simple rite répétitif. Et pourtant, au risque de porter à mal notre égo de prédicateur, l'essentiel n'est pas l'homélie mais bien ce qui va suivre : l'eucharistie. Si notre esprit se nourrit du sermon, notre âme et nos sentiments ont besoin d'une autre nourriture, celle du Corps et du Sang de Jésus. Cette nourriture ne nourrit pas physiquement et pourtant le Christ s'est bien livré à nous de la sorte. En se livrant, il s'est fragilisé et depuis ce jour, nous puisons et trouvons force de vie en communiant ensemble à l'eucharistie. Le pain et le vin consacrés vont au-delà du rite, du souvenir d'un dernier repas. Ils sont les moyens donnés par Dieu pour nous nourrir ici sur terre. Ils sont donc plus qu'un symbole. Pain et vin, devenus corps et sang de Jésus, sont une nourriture qui donne force à l'âme. Par la communion, nous trouvons en nous les ressources nécessaires pour continuer d'avancer sur le chemin de la vie. Le corps du Christ vient se poser en notre coeur, lieu de rencontre avec le divin.

Mais ce n'est pas seulement un geste individuel de rencontre entre Dieu et chacun d'entre nous. Il est aussi un geste communautaire à la fois dans le mouvement de communion, mais également dans la prière eucharistique, dite par un ou plusieurs, mais toujours à la première personne du pluriel pour rappeler que cette prière est prière de la communauté. Pain et vin sont des signes tout simple, rappelant la fragilité du don. Mais de sa vulnérabilité naît une force qui nous dépasse et nous fait participer à la communion divine. Celle-ci fait de chacune et chacun d'entre nous une image du Pain vivant que nous devenons par ce simple geste. Nous pouvons ainsi répondre par l'affirmative à la question initiale. Puissions-nous rester digne de cette confiance de Dieu qui, par la communion, fait de nous ces « tenants-lieu » de Dieu sur terre. Amen.

2e dimanche de Pâques, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Jn 20, 19-31

Aujourd'hui, quand il s'agit de la religion, presque tout le monde doute. Mais c'est souvent un doute nébuleux, peu précis. Nous doutons mais, souvent, nous ne savons pas précisément de quoi nous doutons. C'est parce que nous ne savons pas précisément ce que nous croyons. Nous croyons, peut-être, mais vaguement, donc nos doutes aussi sont vagues. Si nous croyons en Dieu, nous ne savons pas exactement en quoi nous croyons, et nous ne croyons pas avec certitude, nous hésitons ; le doute est, pour beaucoup de croyants, intégral à la foi.

C'est peut-être inévitable aujourd'hui. Nous avons perdu l'ancienne culture chrétienne qui favorisait une foi commune et solide. Nous sommes entourés de tant de voix différentes, de tant d'opinions divergentes et contradictoires, qu'il est difficile d'affirmer avec certitude une seule foi. Cette certitude peut nous sembler même très peu souhaitable. Nous savons très bien que ceux qui sont trop certains, qui croient que leur système religieux ou politique est le bon système, s'imposent souvent avec violence sur les plus faibles. Nous avons appris qu'un peu de doute, un peu d'hésitation, peut nous rendre plus humain, et le doute est devenu presque une vertu.

Thomas semble correspondre très bien à cette mentalité moderne. Pour certains, il est même devenu patron des douteurs. Mais le doute de Thomas n'est pas le nôtre. Thomas n'est pas vague. Il doute, mais il sait exactement ce dont il doute. Plutôt, il ne doute même pas ; il nie, il nie que le Christ soit ressuscité des morts. C'est parce qu'il sait ce qu'il croit ; il croit fermement que le Christ est mort, mort à jamais. Et c'est une certitude très raisonnable, parce que tout le monde sait qu'il est impossible de ressusciter d'entre les morts. Thomas ne veux donc pas croire le témoignage des autres disciples qui prétendent avoir vu le Christ vivant. Il ne leur répond pas : « Oui, peut-être, c'est possible, mais je'en doute ». Il dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous... je ne croirai pas ».

Après, le Christ ressuscité se montre à tous les disciples quand Thomas aussi est là. Il n'approuve pas le doute de Thomas ; il lui dit : « cesse d'être incrédule, sois croyant ». Pour Jésus, le doute n'est pas une vertu, ce n'est pas un élément intégral de la foi ; au contraire, il s'oppose à la foi. Thomas voit Jésus, et il croit. Il ne nie plus la résurrection. Son doute disparaît ; plutôt, sa certitude négative est remplacée par la certitude de la foi ; il dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Pour Jésus, ce n'est pas que Thomas qui peut croire ainsi, mais toutes les générations suivantes aussi : « Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Pour Thomas et pour Jésus, il ne faut pas faire du doute une vertu, il ne faut pas en faire un élément de la foi. La foi implique la certitude.

Mais ne savons-nous pas que la certitude est dangereuse ? L'histoire de notre siècle et l'histoire des guerres de religion ne nous montrent-elles pas clairement cela ? Non. Ce que l'histoire nous montre est que la certitude sans charité est dangereuse, que la certitude de celui qui veut s'imposer et ne se met pas au service des autres est dangereuse. C'est ce manque de charité qui s'oppose à la foi chrétienne, pas la certitude. Sans charité, notre certitude ne vaut rien, c'est-à-dire que sans charité notre foi ne vaut rien. Si la foi et la charité vont ensemble, la certitude de la foi prête sa force à l'amour du croyant. Thomas croit, et dans la force de sa foi il finira, selon la tradition, par donner sa vie pour l'évangile. Aimons-nous les uns les autres et, si nous aimons, n'ayons pas peur de croire.

2e dimanche de Pâques, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

 

Jn 20, 19-31

Dieu existe-t-il vraiment ? Jésus était-il bien le Fils de Dieu ? Sa résurrection : rêve ou réalité ? L'histoire de Thomas, une parabole ou un récit historique ? Quelques questions parmi d'autres, de quoi agrémenter notre dimanche en ce temps de Pâques. Et pour vous spécialement aujourd'hui, dans quelques instants, vous aurez enfin la réponse à toutes ces questions. Il m'aura fallu de longues minutes de réflexion pour aboutir à certaines conclusions que je souhaitais vous livrer avant de m'envoler pour quelques semaines rejoindre nos frères dominicains du Rwanda et du Burundi.

Pour ce faire, repartons de l'histoire de Thomas. Personnage mystérieux dont nous ne savons pas grand chose à la lecture des évangiles, à part son incrédulité évidemment. Ce qui est étonnant, c'est ce détail qui est précisé chaque fois qu'il est cité : Thomas dont le nom signifie jumeau. Mais jumeau de qui ? A ma connaissance, je ne connais que deux interprétations : il est nommé jumeau en référence à Pierre qui est l'image par excellence de celui qui doute, qui manque de courage pour affirmer ses convictions et qui ne comprend rien. Ou encore, il est jumeau de chacune et de chacun d'entre nous en son incrédulité. Il devient de la sorte un personnage essentiel sur le chemin de notre foi puisque par sa présence, par son questionnement et ses doutes, il nous autorise à mettre les pas dans les siens pour que nous aussi, nous puissions arriver un jour à clamer haut et fort : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Mais c'est trop facile de dire qu'il est notre jumeau. Trop facile parce que lui a eu la possibilité de vérifier ses doutes, de les confronter pour reconnaître Jésus comme Fils de Dieu. Ca me fait une belle jambe de le savoir mon jumeau dans la foi, alors que moi, je n'ai aucune certitude, aucun moyen de me trouver face à Dieu, si ce n'est lors de mon passage dans l'éternité. Je ne puis alors que vivre d'espérance, accepter de croire ce que l'on m'a enseigné, ce que l'on m'a fait découvrir.

Peut-être même, oser tenter d'entrer en relation avec Dieu. Cette relation se construit de diverses manières, il est vrai. Je peux vivre cette relation intime entre Dieu et moi soit par la lecture des Ecritures. La Bible est un livre révélé qui m'aide à mieux saisir le mystère qui me fait vivre, il me permet de ne pas devoir réinventer la roue à chaque fois en me proposant un chemin d'humanité qui me permet de me réaliser. Mais la Bible reste un livre même si c'est la Bible. Elle me permet simplement de comprendre un peu plus ce qui habite au plus profond de mon être mais je n'ai pas de certitude quant à l'existence de Dieu pour autant, même si ce fameux livre a traversé déjà quelques millénaires. Il n'est pas une preuve historique. Par delà les Ecritures, Dieu, me direz-vous, vous pouvez aussi le rencontrer au coeur de votre prière, c'est-à-dire dans cet espace intérieur que vous vous offrez pour vivre de sa présence. Entre Lui et moi s'installe, une discussion faite de demandes, de merci. Elle est le lieu de mes incompréhensions, de mes questions et parfois même de mes énervements vis-à-vis de Dieu quand je vois la manière dont le monde tourne. Mais est-ce moi qui prie en Dieu, Dieu qui prie en moi ou encore une dynamique relationnelle où poussé par l'Esprit, je pars à la rencontre du Fils qui me reconduit toujours au Père. Ma prière est-elle une véritable relation ou le fruit de mon imagination ? Ce n'est hélas toujours pas une preuve scientifique. Il me reste alors un troisième chemin possible : il est tout bête, tout simple, c'est le chemin de l'amour.

Me revient à l'esprit l'épisode d'un dîner. Ce midi-là, la nourriture n'était pas exceptionnelle, mais le repas était vraiment un temps de rencontre entre deux êtres. La relation qui s'était nouée autour de cette table était une relation d'amour d'amitié. Les mots se partageaient en vérité. Nous n'avions pas peur l'un de l'autre ni de nos vulnérabilités, ni de nos ambiguïtés. Nous nous rencontrions vraiment en vérité, comme si quelque chose nous dépassait, nous dépossédait. Nous étions enlevés de nous-mêmes et légers de pouvoir être pleinement ce que nous étions. Lorsque l'amour d'amitié atteint un tel degré, il devient véritablement signe de la présence de Dieu. La rencontre est sacramentelle comme si la liberté d'aimer était preuve de l'existence de Dieu. Oh, non pas une preuve scientifique, mais une preuve de foi. L'amour d'amitié est le lieu par excellence où Dieu se révèle à nous. Puissions-nous ne jamais passé à côté, parce que toute rencontre d'amitié en vérité est symbole de ce bonheur auquel nous sommes toutes et tous appelés. C'est donc bien dans l'amour, et l'amour seulement que nous trouverons les réponses à toutes nos questions existentielles. Il suffit alors d'aimer, d'aimer en vérité. Amen.

11e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Mat 10:8)

Quel rôle jouons-nous dans l'évangile d'aujourd'hui ? Sommes-nous des apôtres, envoyés donner aux autres, ou sommes-nous des brebis, fatiguées et abattues ? Avons-nous quelque chose à offrir aux gens, ou avons-nous plutôt besoin de recevoir ? Les deux sont vrais. Parfois, nous pouvons donner ; parfois, nous avons besoin de recevoir. C'est humain ; nous ne sommes pas autosuffisants, nous sommes faits pour recevoir et donner, et nous devons normalement recevoir avant de pouvoir donner.

L'évangile même nous le dit. Vers le début de l'extrait d'aujourd'hui, Matthieu les douze 'disciples', c'est-à-dire des étudiants qui doivent recevoir de leur maître Jésus, qui ont besoin d'être nourris et formés. Puis, quand Jésus est sur le point de les envoyer guérir et proclamer le royaume des cieux, Matthieu les appelle 'apôtres'. Le mot grec signifie 'envoyé' ; les douze sont maintenant ceux qui sont envoyés apporter quelque chose aux autres.

Les douze ont reçu, maintenant ils doivent donner. Mais pourquoi Jésus souligne-t-il qu'ils doivent donner gratuitement, comme ils ont reçu gratuitement ? Pourquoi pas vendre ce qu'ils ont à donner ? Si vous êtes malade, vous allez voir le médecin, il vous soigne, vous lui donnez quelques francs. Comme cela, il y a un échange, et vous en profitez tous les deux. C'est ça le commerce, et c'est cela qui nous enrichit et nous rend heureux, n'est-ce pas ? Pourquoi les disciples doivent-ils donner gratuitement ?

Moi, j'aime beaucoup la musique, ce qui implique que j'achète des CDs. Si vous me vendez un CD, il y a un simple échange économique de biens matériels : moi, je reçois le CD, qui devient le mien ; vous recevez mon argent qui désormais vous appartient ; nous sommes quittes. Le CD ne vous appartient plus, le lien qui existait entre le vous et le CD est rompu ; de même, l'argent ne m'appartient plus. Mais si vous me donnez gratuitement le CD, il existe toujours un lien entre vous et le CD ; je le reçois comme un don de votre part. D'une certaine manière, vous vous donnez à moi en me donnant ce CD, et je vous reçois en le recevant ; je vous accepte en acceptant ce que vous m'offrez, et le fait de donner et d'accepter crée un lien entre nous dont le CD est le signe. Ce petit disque peu important devient ainsi porteur d'une réalité spirituelle qui est essentielle à la vie humaine. Chaque fois que nous recevons un don, nous recevons aussi un don plus important, nous recevons la personne qui nous le donne. (C'est pourquoi, si quelqu'un que nous n'aimons pas veut nous donner un cadeau, nous hésitons, refusons même ; nous savons que, si nous acceptons le don, nous acceptons aussi la personne.) C'est ce jeu de dons de soi-même, qu'ils soient grands ou petits, qui nous enrichit mutuellement. Si, en acceptant un don, je n'y vois que la chose qui m'est donnée, je suis aveugle à une réalité plus essentielle. Si je ne veux recevoir que la chose, je m'appauvris parce que je me rends incapable de recevoir la personne qui me la donne. Si je reçois beaucoup de cadeaux, je peux croire m'enrichir en amassant des choses, mais en réalité m'appauvris. Si je suis ainsi aveugle, si je ne comprends pas ce qu'est vraiment un don, je serai aussi incapable de donner vraiment, je ne pourrai donner que des choses. C'est là la pauvreté du matérialisme, la pauvreté de certains riches qui ne savent que vendre et acheter, qui ne savent recevoir que des choses.

Dans l'évangile, Jésus ne se vend pas, il donne gratuitement ; c'est-à-dire qu'en donnant il se donne, à ce point qu'il va donner sa vie. Et Jésus est l'image de Dieu. Dieu ne se vend pas ; il nous comble de dons, et dans tous les dons que Dieu nous donne, le plus important est le plus grand est Dieu même. Les premiers disciples ont reçu ce don, c'est-à-dire ils ont reçu Jésus, gratuitement. C'est cela qui les a rendus capables de donner, à leur tour, gratuitement, de se donner aux autres.

Ce jeu de dons mutuels n'est pas une limite malheureuse de la vie humaine ; il ne serait pas préférable de vivre sans se donner. C'est plutôt ce qui fait vibrer la vie humaine, ce qui la fait chanter. Savoir donner et savoir recevoir, savoir se donner et savoir recevoir les autres, c'est un élément essentiel de la musique et de l'harmonie de notre vie.

3e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Berten Ignace
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Les quelques lignes de Matthieu introduisent, dans cet évangile, toute l'activité de Jésus : une grande lumière se lève pour le peuple qui était dans les ténèbres. Matthieu dit donc à la communauté à laquelle il s'adresse, il nous dit aujourd'hui, que l'Évangile est une grande lumière. Pour le dire, il fait appel au prophète Isaïe : la première lecture nous en a rappelé le texte. La grande lumière dont Isaïe parle est le retour de l'exil : « Le joug qui pesait sur eux, tu l'as brisé ».

Notre expérience n'est pas de vivre continuellement dans une grande lumière ! Matthieu ne serait-il qu'un illuminé ? Sur quoi donc se fonde son annonce ?

Quand en 1945, les armées allemandes ont capitulé, une grande lumière s'est levée pour la population de nos pays. Quand le mur de Berlin s'est écroulé, une grande lumière s'est levée pour les populations de l'Est en Europe... On peut prendre de multiples exemples de ces tournants historiques, où à un moment la lumière se lève, parce que l'histoire qui était fermée, brusquement se rouvre, parce qu'un peuple qui avait perdu sa liberté voit le moment où il peut de nouveau disposer de lui-même. Tout n'est pas résolu pour autant : de Babylone à la terre de Palestine, il y a une longue marche, et il faudra apprendre à reconstruire le peuple. En 1945, tout est ruine, et les temps seront bien difficiles. Et à l'Est, c'est le dur apprentissage de la liberté... La lumière n'est pas le paradis. Mais il y a la liberté.

Pour Matthieu, la venue de Jésus ou la présence du Christ dans nos communautés, est de cet ordre. Une liberté nouvelle est offerte, une route nouvelle est ouverte. Mais il n'y a pas de grands bouleversements : Jésus se met à prêcher ; il rassemble quelques disciples ; il offre le pardon à quelques pécheurs et guérit quelques malades... Ce n'est pas la révolution. Et un peu plus loin dans son texte, Matthieu nous dit que Jean-Baptiste, toujours en prison, vient faire interroger Jésus : es-tu bien celui que nous attendions ? Jean-Baptiste commence à en douter : rien ne change semble-t-il. Jésus lui répondra : les aveugles voient, les boiteux marchent, la bonne nouvelle est annoncée au pauvres. Quelques aveugles, quelques boiteux, quelques pauvres bénéficient des gestes de Jésus. Cela suffit-il à apporter la lumière dans le cachot obscur de Jean-Baptiste ?

Oui, c'est vraiment une lumière : l'histoire n'est pas fermée, il n'y a pas de fatalité : la liberté est offerte pour faire jaillir la vie. La liberté et la responsabilité. Et au c½ur de cette liberté capable d'agir par la puissance de la foi et de l'amour, Dieu lui-même est à l'½uvre : son Royaume est en train de germer. La lumière est aussi dans le regard : percevoir les signes de ce Royaume pour entrer activement dans cette dynamique nouvelle.

Mais rien n'est simple, rien n'est donné une fois pour toutes. Tout est constamment à faire, à refaire et à reprendre. Il en est ainsi dès le début. Les lettres de Paul et les Actes des Apôtres en témoignent de multiples fois. Ainsi à Corinthe. On a reçu la bonne nouvelle dans l'enthousiasme. Une communauté s'est créée, rassemblant des gens de toutes sortes. Et puis rapidement, ce sont les divisions, les conflits, les querelles de personnes. Comme dans toutes les communautés et dans les Églises. Et Paul en appelle à l'unité et à la réconciliation. Il n'apporte pas de solution, il n'a pas de recette. Il invite simplement à se recentrer sur l'unique fondement de la foi, l'unique raison d'être de la communauté chrétienne : le Christ lui-même. Et il nous laisse cette interpellation urgente : quel chemin trouver entre nous, entre nos Églises, dans nos communautés ou nos familles, pour aller au-delà des déchirements et trouver l'unité dans le respect des différences ?

Et comment, dans notre humanité si souvent déchirée, témoigner de l'unité qui nous est offerte par Dieu ? En accueillant cette lumière qui nous est donnée par le Christ : l'histoire n'est pas fatale, le passé n'enferme pas le présent : nous n'en sommes pas prisonniers. Accueillons donc la liberté qui nous est offerte pour ouvrir ensemble l'espace où peut naître le Royaume de Dieu au milieu de nous.

3e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

 

Mt 4, 12-23

You are the sunshine of my life That's why I'll always be around, You are the apple of my eye, Forever you'll stay in my heart.

Chaque année, en été, il y a des millions d'anglais qui fuient l'Angleterre pour aller en Espagne, en Italie, en Grèce, en Turquie. Ce n'est pas parce qu'ils adorent les espagnols ou les grecs, ou qu'ils détestent le gouvernement britannique ; ils cherchent simplement le soleil. Pour beaucoup, c'est le moment le plus important de l'année, ils travaillent 50 semaines par an pour pouvoir avoir leurs deux semaines au soleil. Telle est l'importance du soleil. Nous sommes des tournesols, nous cherchons le soleil, nous nous tournons vers la lumière, nous la suivons.

Le monde naturel est un symbole du spirituel. Si nous cherchons le soleil, source de lumière, de chaleur, de vie, nous avons aussi une vie spirituelle et nous cherchons une lumière spirituelle. Au temps de ma jeunesse, il y avait une chanson populaire "You are the sunshine of my life". C'était composé et chanté par Stevie Wonder. Il était aveugle, incapable de voir la lumière naturelle, mais il comprenait très bien qu'il avait besoin, comme nous tous, d'une lumière plus spirituelle, une lumière qui éclaire le sens de sa vie et qui l'aide à trouver, dans la vie, son propre chemin. Il croyait l'avoir trouvée dans la personne qu'il aimait et pour laquelle a écrit cette chanson ; c'est l'amour qui lui a ouvert les yeux et qui a permis à l'autre de le remplir de sa lumière. Il y a 2700 ans, le prophète Isaïe a compris, lui aussi, la nécessité de cette lumière spirituelle. Selon sa prophétie, que nous avons entendue dans la première lecture, cette lumière paraîtrait en Galilée.

Si, en Galilée, Pierre et André courent après Jésus, ce n'est pas parce qu'ils trouvent trop ennuyeuse leur vie de pêcheur ; si Jean et Jacques se tournent vers lui, quittent leur père pour le suivre, ce n'est pas parce qu'ils détestent leur père ; c'est parce qu'ils voient, tous les quatre, en lui le soleil spirituel, la lumière de vie. A la lumière de Jésus, ils voient les choses autrement. Il y avait dans leur vie une obscurité, dont ils n'étaient peut-être pas conscients ; maintenant, en voyant Jésus, ils voient plus clair, et ils le savent. En la personne de Jésus et en son enseignement, les quatre croient voir les choses telles qu'elles sont ; Jésus les éclaire, et ils croient arriver à une compréhension du monde et de leur vie dans le monde. Jésus est le 'sunshine' de leur vie.

Voilà ce qu'ils croient. Mais est-ce qu'ils ont raison ? Ne se trompent-ils pas ? Il est très dangereux de suivre un homme, les hommes déçoivent, on peut tout perdre en les suivant. Notre siècle en est témoin. Il y a de vieux films des discours d'Adolf Hitler. Vous le voyez là, crier devant une immense foule. Parfois, vous voyez aussi le visage de ceux, surtout des jeunes, qui l'écoutent. Ils sont ravis, leurs yeux brillent, leur visage est rayonnant. Ils aiment Hitler, ils l'adorent. Il est le sunshine de leur vie. Mais c'était une affaire de dix ans. C'était une fausse lumière ; il les a fourvoyés. Leur amour a abouti très vite à une catastrophe totale, leur lumière s'est révélée obscurité.

Jésus, par contre, n'a pas fourvoyé les quatre premiers disciples. Ils n'ont pas été déçus. Oui, ils ont eu leurs difficultés, le moment de la passion de Jésus était un moment de ténèbres, il a semblé mettre fin à tout leur espoir. Mais, finalement, la résurrection et leur vie de disciple leur a montré que la lumière de Jésus n'était pas fausse, Jésus ne les avait pas trompés, leur amour n'était pas déçu. Jésus restait, comme ce premier jour-là en Galilée, le sunshine de leur vie. C'est pourquoi ils ont fait de leur mieux pour transmettre leur expérience, leur amour, aux autres, pour que les autres voient à leur tour cette lumière. Ils ont réussi, beaucoup d'autres ont pu voir en la personne de Jésus la lumière qu'ils cherchaient. Ce n'était pas une affaire de dix ans. La lumière de Jésus s'est révélée une vraie lumière, durable, éclairante, une lumière qui donne la vie, qui permet à chacun de suivre son propre chemin. Cette lumière est toujours là, Jésus peut être, si nous le voulons, le sunshine de notre vie.

23e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Dianda Jean-Baptiste
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Frères et s½urs, Dans la vie de tous les jours, dans notre société, nous proclamons haut et fort que « chacun est responsable de ses choix et ne peut s'en prendre qu'à lui-même des conséquences qui en résultent. » Il s'agit là de la consécration de la responsabilité individuelle dictée par le respect de la liberté et de la dignité de la personne humaine. La vie privé est sacrée ! Et pourtant, dans notre société, la loi condamne aussi la non-assistance à personne en danger de mort ;comme pour rappeler que la responsabilité individuelle a ses limites, et que, quelque part, nous sommes responsables les uns des autres -malgré tout ! A travers les lectures qui nous sont proposées dans la liturgie de ce dimanche, nous pouvons déceler une constante : « l'indifférence peut devenir fatal. » En effet, ces lectures montrent comment nous comporter envers des frères et s½urs qui ont notoirement commis un péché (Mt.18,15-ss). Elles montrent aussi que « l'accomplissement parfait de la loi c'est la charité », un devoir (dette) avec lequel on n'est jamais quitte(Rm.13,8-ss).Impossible , dès lors, d'abandonner les pécheurs à leur sort. La charité à leur égard demande qu'on s'efforce de les amener à s'amender. Voilà ce que certains appellent le devoir de « correction fraternelle » lequel exige doigté et humilité, car il ne s'agit pas de juger ni de condamner des coupables. Matthieu est très sensible au problème de l'exclusion puisque son principal souci est de rassembler en communauté fraternelle. Il propose donc une solution progressive en trois étapes : 1 .Un accord à l'amiable, mais cela ne marche pas toujours. 2. Prendre deux ou trois personnes comme témoins. 3. L'intervention de la communauté et éventuellement une « excommunication ». Cette procédure relève de la consigne de la correction fraternelle et du bon sens :ne brûlez pas d'étapes. Pour Matthieu, il est important de « parler à son frère » et « non de son frère ». Peut-être le faisons-nous trop peu ? Et ne serait-ce pas alors le signe d'un manque d'intérêt ? L'enjeu de toute cette procédure reste, pour Matthieu, de ne pas perdre quelqu'un, d'avoir une assemblée fraternelle. En Afrique nous parlons de l'arbre à palabre où tout se discute autour d'une calebasse (une espèce de cruche) de vin de palme(ou tout autre vin local)jusqu'à ce qu'une solution de paix ,de réconciliation soit trouvée. Voici une petite histoire que j'ai trouvée dans le livre des « sentences des pères du désert, n ?352, Solesmes, 1966, pp.251-ss. » « Deux anciens vécurent ensemble bien des années, et jamais ils ne se disputèrent. Aussi, l'un dit à l'autre : « si nous nous disputions une fois comme tout le monde ? » Son frère lui répondit : « je ne sais pas comment on fait pour se disputer ». L'autre dit : « voici : je pose une brique entre nous. Mais je dis :elle est à moi. Et toi ,tu dis :non, c'est la mienne ! C'est comme cela qu'une dispute commence ». Il posèrent la brique entre eux. L'un d'eux dit : « elle est à moi ». L'autre dit : « non, elle est à moi ». Le premier reprit : « oui, elle est à toi ; prends-la et va -t-en ». Et ils se séparèrent sans pouvoir se disputer. » Frères et s½urs, Pour terminer, permettez-moi de partager avec vous les réflexions de l'abbé Pierre dans son livre « Fraternité »,Paris,Fayard,1999,pp.85-88. « Nous sommes tous constamment confrontés à choisir entre deux chemins, deux sortes d'engagement, deux manières d'être...Ces deux voies sont très claires : « moi sans les autres ou moi avec les autres ... ». Personnellement, c'est vers l'âge de sept ans que j'ai pris conscience de l'existence des choix à travers un petit événement tout simple. J'avais volé de la confiture et laissé accuser un de mes frères. Mes parents s'en étant aperçus, ils me punirent en m'interdisant d'aller à une fête chez des cousins .Le soir, mes frères et s½urs rentrent tout joyeux et me racontent les jeux merveilleux qu'ils ont faits. Imperturbable, je leur réponds : « qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse puisque je n'y étais pas ? » Mon père a entendu ma réflexion. Il me fait venir dans son bureau et me dit avec douceur et tristesse : « Henri, comment ne vois-tu pas combien ce que tu as dit à ton frère est affreux ? Alors il n'y a que toi qui compte ? » Ce fut un choc terrible .Je compris que je pouvais me replier sur moi-même, me suffire à moi-même, ou au contraire, m'ouvrir aux autres, participer à leurs joies et à leurs peines. Tout homme un peu attentif à ce qui est au-dedans de lui voit bien qu'il est traversé par deux mouvements :l'idolâtrie de soi- moi, moi, moi, mon enrichissement, ma réussite, ma carrière, et que les autres se débrouillent- et puis la générosité, le partage, l'amour. Mais aimer, qu'est-ce que c'est ? Aimer, c'est être plus hors de soi. L'amour, c'est la sortie de soi...Je suis intimement convaincu que ce qu'on appelle ,dans l'imagerie populaire chrétienne, l' « enfer » et le « paradis », ne sont que le prolongement dans l'au-delà de ces deux voies que nous aurons choisi de suivre sur Terre. Au contraire de Sartre qui disait « l'enfer c'est les autres », je dirais « l'enfer c'est soi-même coupé des autres ». C'est se contempler éternellement le nombril. C'est être l'idolâtre de soi .A l'inverse, le paradis c'est être relié aux autres. C'est la joie du partage, de l'échange, de communion. »

23e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Cela fait des années qu'ils se connaissaient et ils avaient décidé d'unir leurs destinées. Elle était vraiment aux anges et lui semblait relativement heureux d'avoir pris une telle décision. Ils avaient chacun choisi de nombreux témoins. Un peu comme s'ils voulaient noyer le poisson dans l'eau. Plus ils sont nombreux, moins il y aura de chance de se faire interpeller. Ses amis à lui, même sa famille proche redoutaient cet événement. Ils parlaient ensemble très souvent de lui. Il était presque devenu leur unique sujet de conversation au fur et à mesure que le plus beau jour arrivait. Ils parlaient de lui mais jamais à lui. Pas un n'avait le courage de l'affronter alors qu'ils avaient tous l'impression qu'il allait à la catastrophe. Il avait tellement changé depuis qu'il la connaissait. Il ne voyait plus personne. C'était trop fusionnel pour qu'il puisse vraiment respirer. Et ils se lamentaient de plus belle sur cette vie gâchée. Il fallait lui parler, il faudrait lui parler. Mais personne n'osait. Quand quelques années plus tard, ils se sont séparés malgré leurs enfants : famille et amis ont vivement regretté de s'être tu.

Qui d'entre nous, d'une manière ou une autre, ne se reconnaît pas dans cette histoire ? Combien de fois dans nos vies, des pensées, des intuitions nous traversent et nous n'avons pas le courage et la franchise de le dire à la personne concernée. Et pourtant les paroles du Christ ce soir (matin) sont limpides : « si ton frère a commis un péché ». Ca vaut aussi pour les soeurs, vous n'y échapper pas mesdames. Si ton frère a commis un péché c'est-à-dire si ton frère a fait ou va faire quelque chose qui va à l'encontre de lui-même, qui l'empêche d'advenir, de devenir ce à quoi il est appelé, va lui parler seul à seul. Un péché, c'est donc tout obstacle qui entrave notre épanouissement, tout acte qui nous dévie du chemin qui conduit au bonheur. Ces actes parsèment nos vies et ralentissent notre réalisation personnelle. Si tu vois que ton frère, ta soeur trébuche ne convoque pas une réunion pour discuter, parler de ce qu'il ou elle a fait mais prends ton courage à deux mains et va lui parler seul à seul. « Seul à seul », c'est-à-dire tout en finesse, tout en tendresse. Dans cette rencontre, nous ne sommes pas là pour juger, voire condamner mais pour aider un être aimé à se relever. Un peu comme si nous lui disions, presqu'en s'excusant : « ce que tu vis, je ne peux pas rester indifférent. Ne te formalise pas de la manière maladroite dont je vais te parler, entends seulement mon souci de toi, je t'aime ». Parler « seul à seul » tel que le Christ nous le demande, c'est être capable de se rencontrer tout en tendresse. Nos mots, si durs soient-ils sont portés par l'amour que nous avons pour l'autre, par notre désir profond de ne plus le voir tomber. Oser parler en vérité est une des nombreuses manifestations de l'amitié. Cela n'est pas aisé. Nous avons peur de nous tromper, de blesser la personne aimée. C'est vrai nous sommes suffisamment intelligent pour trouver toutes les excuses qui nous permettront d'éviter une telle confrontation. Mais ça, c'est tout à fait contraire à l'évangile de ce jour. Aimer, c'est aussi aider l'autre à avancer sur le chemin de sa destinée. Et ce, quel qu'en soit le prix à payer ! Cela risque effectivement de nous coûter.

Mais quelle récompense si nous y parvenons. En effet, nous dit Jésus : « s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère ». Qu'est-ce à dire : gagner son frère ? Gagner, verbe devenu presque indécent parce souvent il suppose le fait d'écraser l'autre pour y arriver. Dans l'exemple du Christ, le combat est avec soi-même. Il n'est au détriment de personne d'autre. Je dois donc tout faire pour y arriver. Mais c'est vrai que pour gagner, il faut d'abord se battre. Et cela fait parfois mal, si mal. Cependant, si l'être aimé sort victorieux de cette lutte avec lui-même, il n'aura pas gagné une médaille ; il se sera gagné. Il deviendra un peu plus lui-même. Si c'est cela que nous pouvons espérer, cela ne vaut-il pas vraiment pas la peine d'aller lui parler seul à seul pour le gagner ?

Amen.

13e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Régulièrement, je suis pris d'un désir un peu fou : celui d'installer des haut-parleurs sur le toit de la voiture communautaire que j'utilise. Pourquoi me direz-vous ? Pour tout simplement pouvoir traiter de tous les noms d'oiseaux que je connais, et la liste est plutôt longue, les automobilistes qui ne me remercient pas d'avoir été courtois au volant en me mettant sur le côté pour les laisser passer et ce, même s'ils sont en droit. J'imagine la tête de celui ou de celle qui n'ayant pas eu la délicatesse de m'envoyer à travers son pare-brise un petit geste de la main, voire même juste un sourire, se faire insulter à travers mes haut-parleurs. Vu que je rencontre cette expérience douloureuse régulièrement et que je ne suis pas à l'abri de me faire piéger également, je risque d'être poursuivi pour pollution du bruit. Evidemment, ce n'est qu'un rêve. Mais quel rapport avec l'évangile que nous venons d'entendre, êtes-vous en droit de me demander ?

Quand un automobiliste, que nous estimons grossier, ne nous remercie pas, il nous ignore et nous avons l'impression que nous n'existons pas. Nous ne sommes pas reconnus. Or pour être reconnu, il ne faut pas grand chose rappelle Jésus : même un simple verre d'eau fraîche. Ce n'est quand même pas la fin du monde, un simple verre d'eau fraîche. Cependant, celui qui donnera cela en sa qualité de disciple, il ne perdra pas sa récompense, conclut le Christ. Notre vie, aujourd'hui encore, est effectivement parsemée d'une multitude de petits gestes souvent plus insignifiants les uns que les autres et pourtant... Et pourtant qu'est-ce qu'ils sont importants ces petits détails qui rythment nos vies quotidiennes. Une attention par-ci, un sourire par-là, un geste de tendresse, quelques minutes d'amitié. Ils sont millions ces petits riens qui font la beauté de la vie. Mais ne risquons-nous pas de trop souvent les oublier. Nous ne pouvons, je crois, nous mobiliser de manière permanente pour faire des actions d'éclat, un peu exceptionnelles. C'est vrai, et notre communauté l'a encore prouvé récemment, nous sommes capables de nous montrer extrêmement généreux pour un acte ponctuel face à la détresse d'un enfant. Mais qu'un acte pareil, tout aussi merveilleux qu'il soit, ne fasse jamais d'ombre à tous les autres petits actes de la vie, qui sont effectués tout au long d'une année et dans la discrétion de rencontres sans tapage, sans bruit. Là, c'est l'accueil dans la fidélité qui se vit.

Etre accueilli, nous rappelle l'évangile ainsi que les autres lectures de ce jour, n'est pas quelque chose d'anodin mais bien de divin. L'accueil est échange, l'accueil est reconnaissance. Et l'accueil est aussi parfois un défi. En effet, il n'est pas toujours facile d'accueillir celles et ceux envers lesquels nous avons moins de sympathie. Nous ne sommes pas, non plus toujours prêts à nous faire surprendre par certains événements de la vie. Parfois, nous sommes saisis par une situation que nous n'avions pas prévue. Elle déjoue nos plans, fausse nos prévisions, ébranle nos sécurités. Et nous voilà au coeur de la réalité, avec toutes nos questions et nos désirs de tranquillité, de n'être pas dérangé. Les défis, eux aussi, se comptent par milliers. Et voilà, que ce matin (soir), nous sommes à nouveau bousculés dans notre foi, nos certitudes. Le Christ nous convie à répondre à un défi qui dépasse notre imagination : celui de Le choisir. De Le choisir en vérité.

Il nous rappelle avec force, utilisant certaines images d'amour sans concession, que lorsque nous choisissons le chemin de la foi, ce choix n'est pas des moindres. Il demande de nous une disponibilité de coeur et d'esprit qui pourra nous conduire, lors de certains événements, à prendre une direction qui ne va peut-être pas dans le sens de notre humanité mais bien dans celui de la divinité. Croire, c'est donc aussi faire des choix et se laisser surprendre, en confiance, par les défis de la vie. Mais, avons-nous cette disposition de coeur et ce désir de nous laisser émouvoir par l'amour radical de Dieu pour oser mettre nos pas dans les siens ? Que cette question puisse alimenter nos propres réflexions, cet été.

Amen.

Noël

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 1998-1999

Il y a quand même quelque chose de bien mystérieux dans cette fête de Noël que nous célébrons cette nuit. Tout aussi mystérieux que le mystère de ce Dieu qui s'est fait homme. Dans notre pays, et ce quelle que soit l'intensité de notre foi, nous fêtons Noël. Noël, fête de l'habillement, par excellence. Nous nous mettons sur notre 31 comme aux grandes occasions et nous allons même jusqu'à habiller notre maison : sapin, décoration intérieure et extérieure. Tout est là pour nous permettre de vivre une belle fête. Même si, c'est vrai, chez nous, nous n'allons pas, comme en Suède, jusqu'à changer les tentures et les cadres pour transformer complètement la pièce dans laquelle chaque famille célébrera ce moment tant attendu pour les uns, redouté pour les autres. Il y a vraiment quelque chose de merveilleux dans ce que nous vivons pour l'instant. De plus, au delà de l'habillement, Noël est aussi la fête de l'eau dans son vin et ce, même si notre réveillon a été bien arrosé. Chacune et chacun, nous faisons un effort pour que joie et paix règnent lors des différentes rencontres. Deux mille ans après cette naissance qui va complètement transformer notre humanité, il y a toujours du magique dans cette fête.

Oui, Noël est alors bien la fête d'une émotion. Une émotion qui nous fait remonter aux sources de nos racines les plus profondes. Elle est la première étoile dans notre ciel intérieur. Elle commence là - et se pose dans les tréfonds de nos silences les plus cachés. L'émotion est invisible en ses débuts, indiscernable dans nos visages. D'abord nous ne voyons rien. Nous sentons qu'elle naît en nous, c'est tout. Elle avance par elle-même, vers son propre couronnement : cette quête inlassable du bonheur. L'émotion passe comme une pluie de lumière au jardin. Elle laisse en nous une solitude toute fraîche, une connaissance calme. Elle est en nous comme une lumière douce dans les fins de l'été, à la tombée de l'enfance. Elle éclaire ce que nous aimons mais sans toucher à notre ombre. Elle effleure tout le champ de l'invisible des sentiments. Oui, les émotions donnent vraiment sens à nos vies, tout en les rendant elles-mêmes insensées puisque nous ne pouvons y graver les mots de notre ressenti, de notre émerveillement. Et c'est cet émerveillement qui crée en nous un appel d'air. L'éternel s'y engouffre à la vitesse de la lumière et dans un espace soudain vidé de tout.

Nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire de ne voler que dans l'espace de nos émotions. Elles sont essentielles à cette quête de vie dans laquelle nous nous inscrivons mais elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Elles demandent à être reconnues pour devenir fondatrices de ce que nous sommes et devenons. Un peu d'ailleurs, à l'image de notre première lecture, Noël nous convie à vivre, année après année mais sans jamais se lasser, l'expérience d'un recensement intérieur. Un temps que nous nous offrons à nous-mêmes pour retrouver le sens de notre vie. Un chemin personnel pour revenir aux sources de ce qui forment les fondements de ce que nous sommes. Un recensement, entendu comme un retour à l'essentiel, c'est-à-dire à ce désir, voire même à ce besoin existentiel, de comprendre ce qui nous rend heureux. Un peu, comme si Dieu susurrait aux creux de notre ombre : « tu n'es toi-même que lorsque tu nais à toi ». La naissance à soi, c'est peut-être également partir à l'écoute de ses émotions les plus profondes, les faire exister pour remettre du merveilleux dans nos vies. Oh non pas un merveilleux sans attaches mais un merveilleux enraciné dans la naissance de l'enfant-Dieu. Si Noël touche à ce point à nos racines, à nos émotions, c'est parce qu'au fond de nous-mêmes, nous ne sommes pas indifférents au mystère de cet événement. Un événement qui dépasse d'ailleurs tout entendement. C'est pourquoi il reste d'abord avant tout de l'ordre d'une émotion : Dieu s'est fait homme. Si c'est par nos émotions que nous pouvons entrer dans ce mystère de Noël, c'est par notre raison que nous choisissons de chercher à tenter de le comprendre. Oui, cette nuit nous découvrons une fois encore qu'au-delà d'un sentiment merveilleux, Dieu notre Père nous offre un superbe cadeau : Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. C'est en ce sens précis que cette fête nous touche si profondément, nous découvrons, nous redécouvrons que toutes et tous nous sommes appelés à devenir Dieu, à partager la vie divine. Quelle pari sur notre humanité, quelle espérance pour nous autres. C'est pour cela que nous pouvons chanter : oui, la vie est belle.

Joyeux Noël.

Amen.