24e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Pirson Pierre
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Mt 18, 21-35

Il y a quelques années, lors d'une retraite en Côte d'Ivoire, une dame expliquait : " J'aime beaucoup le Notre Père ; ... mais pas tout ! C'est facile et c'est beau : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne.... Donne-nous aujourd'hui, oui, oui, beaucoup, et encore demain.... Pardonne-nous... nous en avons fort besoin. Comme nous pardonnons ! Là, je m'arrête net ; depuis dix ans, ça bloque, ça ne passe pas. " Si nous étions vraiment attentifs aux mots que nous prions, nous pourrions souvent avouer la même chose. Comme ce monsieur qui priait, mais je crois plutôt qu'il blaguait en disant cela : " Seigneur, délivrez-moi de mes amis ; mes ennemis je m'en charge ! " Pardonner est difficile. Le pardon, comme l'amour, ne se commandent pas. Pourtant, le Christ en a fait des commandements. Le pardon est comme la fine pointe, l'expression la plus parfaite de l'amour. Je crois que, souvent, nous comprenons mal la parole de Jésus : " Si vous ne pardonnez pas, votre Père non plus ne vous pardonnera pas. " Et nous voyons une condition dans la demande du Notre Père : " Pardonne-nous comme nous pardonnons ".

L'évangile vient remettre les choses en place. Le sens de la parabole est évident : " Je t'avais remis toute ta dette, parce que tu m'avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon ? " Le pardon vient de Dieu. Jour après jour, nous sommes constamment plongés dans le bain de la tendresse et de la compassion de Dieu, Père qui aime ses enfants et connaît leur bonne volonté et leurs faiblesses et, jour après jour, leur propose renouveau et réconciliation. Nos pardons sont comme des gouttelettes qui rejaillissent de la fontaine sans cesse jaillissante de l'immense pardon de Dieu sur l'humanité, réponse à la prière de Jésus : " Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font ". Les petits ou grands pardons que nous accordons sont possibles grâce à la surabondance du pardon de Dieu. Pardonnant parce que nous sachant pardonnés.

Il n'empêche, le pardon reste difficile. " J'essaie, et je n'y parviens pas ; j'ai beau le demander à Dieu : l'autre m'en a trop fait voir. Pardonner oui, oublier, jamais (ce qui souvent signifie : je n'ai pas pardonné !) " Nous connaissons tous cela. Eh bien, Jésus nous donne comme un truc (passez-moi l'expression) pour pardonner : " Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous font du mal. " Avez-vous des ennemis ? ... La plupart répondront, un peu hésitants : non. Je n'ai pas peur de le dire : " J'ai des ennemis ". L'ennemi, c'est celui m'a fait ou qui me veut du mal, qui cherche à me nuire ou, à la limite, dont je crois qu'il me veut du mal. Compris dans ce sens-là, j'ai eu des ennemis et j'en ai encore. Mais je m'efforce de n'être l'ennemi de personne. Comment ? Pas avec un sourire Pepsodent hypocrite, mais d'abord simplement en priant, le coeur peut-être encore plein de colère, de rancune et d'amertume : " Seigneur, celui-là, celle-là...ce voyou (n'ayez pas peur de le dire !), bénis-le ; je ne peux pas le voir ; mais toi, regarde-le ; c'est ton enfant. " Ne demandez pas qu'il devienne ceci ou cela ; jetez-le seulement sous le regard et dans les mains de Dieu ; invoquez sur lui le nom de Jésus. Rien de plus. Mais répétez cette prière ; alors, insensiblement, notre regard sur l'autre change : nous n'oublions rien ; mais lentement nous commençons à voir l'autre avec le regard de Dieu ; et notre c½ur s'apaise. Nous entrons dans le chemin du pardon.

Un jour, au couvent de Rennes, j'expliquais cela. A la sortie de la messe, un dominicain m'a dit : " C'est la première fois que j'ai prié pour le président. " Je ne vous dirai pas en quelle année c'était ; vous ne saurez pas le nom du président, ni celui du frère ! Avez-vous jamais prié pour Ben Laden, Saddam Hussein ou Bush ? Il n'est pas trop tard, ils en ont bien besoin, comme beaucoup d'autres. Plusieurs parmi vous connaissent certainement le " rite zaïrois de la messe ". Au-delà de la danse, des chants et gestes, cette liturgie contient de grandes richesses. Notamment la liturgie pénitentielle ou de réconciliation. Le " Je confesse... et Seigneur, prends pitié " ne sont pas situés en début de célébration où, reconnaissons-le, assez souvent ils tombent plutôt à plat, mais après l'homélie. La parole de Dieu nous aide à prendre conscience de nos limites et de nos faiblesses ; même en un jour de grande fête, c'est tout naturellement que nous pouvons alors invoquer le pardon de Dieu. Le pardon et la paix reçus de Dieu, nous sommes invités à nous les partager les uns aux autres.

4e dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Il y a quelques semaines je recevais dans ma boîte électronique, le courrier suivant, je me permets de vous en lire quelques extraits. Il est un peu macho et en disant cela, c'est évidemment un euphémisme. Mesdames, si vous voulez quelque chose, il suffit de le demander. Mettons les choses au point : nous, les hommes, nous sommes simples. Nous ne comprenons pas les demandes indirectes subtiles. Les demandes indirectes directes ne fonctionnent pas non plus. Les demandes indirectes évidentes encore moins. Dites les choses comme elles sont. Si vous posez une question à laquelle vous n'attendez pas de réponse, ne soyez pas surprises d'entendre une réponse que vous ne vouliez pas entendre. Nous sommes simples. Si nous vous demandons de nous passer le pain, nous ne voulons dire que cela. Nous ne sommes pas en train de vous reprocher qu'il ne soit pas sur la table. Il n'y a pas de sous-entendus ni de reproches, nous sommes vraiment simples. Et si vous avez un problème, ne venez nous voir que si vous espérez de l'aide pour le résoudre. Ne nous demandez pas de vous plaindre comme si nous étions une de vos copines. Nous sommes simples. D'ailleurs, tous les hommes ne voient que 16 couleurs. Pour nous, la prune est un fruit, pas une couleur. Qu'est-ce que c'est que cette couleur fuschia ? Et pire, comment s'écrit cette chose ? Enfin, la règle de base, avant toute hésitation à notre égard : allez au plus simple puisque nous le sommes. Le mail se concluait en une invitation à le répandre pour que les femmes comprennent mieux les hommes et pour que les hommes ne se sentent plus seuls dans leur simplicité.

Si je me suis permis de reprendre un extrait de ce courrier, c'est parce que j'y vois un lien évident entre celui-ci et l'évangile de ce jour. Non pas que Jésus ou le lépreux soient macho, mais par la simplicité du récit. Eux aussi, ils sont simples.

Pour libérer l'aveugle de sa nocturnité, Jésus crache par terre et par sa salive fait un peu de boue. Il ne lui faut vraiment pas grand chose. Et pourtant, c'est de cette manière précise qu'il manifeste à ses contemporains la gloire de Dieu. Quelques simples éléments : un peu de terre, un peu de salive et Dieu se révèle à nous. Il en va de même pour l'aveugle né lorsqu'il parle de ce qui vient de lui arriver : " il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et maintenant, je vois ". Il répète à plusieurs reprises cette phrase pour arriver à la conclusion : " Je crois, Seigneur ".

Des mots très simples, pas de longues phrases. Il va droit au but. C'est dans la simplicité des gestes et des mots que Dieu s'offre à nous. Il nous éveille à la vie et nous convie à revenir à l'essentiel. Cet essentiel qui est, en fait, l'essence même de ce Carême que nous traversons en ce moment. Et l'essentiel se vit dans les choses simples, tout simplement parce que c'est là que se conjugue la vie au quotidien. Un sourire, un geste de tendresse, un temps pour soi, un temps pour l'autre, un silence pour Dieu. Redécouvrons la beauté du bruit du vent sur les herbes c'est-à-dire l'éclat sans partage de la terre et du grand ciel, là où chaque chose ouvre un horizon. Alors et alors seulement, nous nagerons dans la lumière, notre lumière puisque nous nous serons éveillés à nous-mêmes en nous désaveuglant de tout ce qui nous empêche d'écrire notre destinée. Osons éclairer tout ce que nous aimons mais sans toucher à leur ombre. Notre vie fleurira près de nous comme un printemps éternel. De la sorte nous aussi, nous entrerons et nous nous réjouirons dans ce cloître des lumières pour vivre l'aujourd'hui éternel des vivants.

Désaveuglés de nos encombrements, nous voyons ce qui est et nous devenons ce que nous voyons. Un être simple, se réjouissant d'une colombe, d'une étoile comme si le sort du monde en dépendait. Nous reprenons le temps de l'attente pour mieux voir et se réjouir. Et l'attente, ce n'est pas quelque chose d'ennuyeux, de compliqué. Non l'attente est un peu comme une fleur simple qui pousse au bord du temps, notre temps. Et par ce temps que nous donnons aux choses si simples, si belles et si pures, le monde s'éloigne de nous mais en même temps l'éternel s'approche silencieux, solitaire et surtout lumineux. La lumière de Dieu, c'est quelque chose de merveilleux lorsqu'elle croise notre foi. L'émerveillement crée en nous un appel d'air où l'éternel s'engouffre à la vitesse de la lumière, dans cet espace intérieur, soudain vidé de tout, même de nous. Et cet à cet endroit précis que, d'ici peu, la lumière de Pâques viendra se poser. Tout simplement. Tout divinement.

Amen.

9e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Dans presque toutes les langues, le mot maison désigne à la fois le bâtiment et la famille qui l'habite. L'image de Jésus est donc pertinente. Sommes--nous de frêles bâtisses élevées hâtivement au ras du sol comme sur du sable, chrétiens dont la foi est un héritage familial, une habitude sociologique, un usage traditionnel ? Ou sommes-nous de ces bâtisses qui, au contraire, révèlent leur qualité à l'épreuve et restent debout, malgré les bourrasques qui les assaillent ? Une seule chose compte aux yeux du Seigneur. Ce n'est ni la hauteur, ni la grandeur, ni l'élégance ou la richesse apparente de la maison qui frappe Jésus. Il va tout de suite à l'essentiel. Ce qui retient son attention c'est la fondation de l'édifice. Pourquoi ? J'y répondrai par l'intermédiaire d'un autre pourquoi.

Pourquoi les mêmes adversités affaiblissent-elles l'âme et la foi de certains et chez d'autres sont-elles au contraire comme le ciment qui renforce le tout ? Pourquoi, dans un cas, les épreuves tournent-elles au drame ou à la rupture et pourquoi dans d'autres cas, les contrariétés forgent-elles des c½urs aguerris ? La réponse est claire. Jésus interroge : Regardez les assises de ces âmes et de leur foi. Sont-elles fondées sur ma personne ou sur des mots ? La foi est-elle fondée sur une expérience personnelle de Dieu ou se base-t-elle sur des propositions, fussent-elles dogmatiques ou conciliaires ?

La pierre fondamentale de notre existence doit être le Christ. Si nous restons fidèles aux consignes du Seigneur, ni les tempêtes bruyantes d'un monde agité, ni les infiltrations sournoises du malin n'ébranleront nos bâtisses. Si nous restons fixés au sol rocheux de l'amour de Dieu, nul soubresaut n'ébranlera la stabilité sereine de notre confiance, ni les remous intérieurs, ni les tempêtes de la vie.

La symbolique des deux fondements possibles de la maison : le sable ou le roc peut s'appliquer à la famille et au monde, au groupe familial comme à la famille humaine.

La maison, c'est d'abord la maisonnée, la gente familiale, le chez soi où se vivent les premiers échanges. C'est le milieu où s'exerce l'éducation où s'apprend l'affection. La maison, pour Israël, marquait la fin de l'errance et de la précarité, signifiée par les tentes du désert. La maison, dans l'évangile, est pour Jésus le lieu privilégié des entretiens confidentiels et l'endroit de sa pédagogie particulière aux apôtres. Souvent Jésus se retrouve avec ses disciples « malentendants » dans une maison pour les enseigner et leur donner d'ultimes explications. Les apôtres se souviendront et agiront de la même manière plus tard, comme en témoignent les actes (AA 10,11,20,23...)

Pour nous, ce ne sont pas seulement les églises ou les couvents mais chaque foyer qui devrait être une maison de Dieu, la maison- Dieu. La famille n'est-elle pas en effet le lieu de tous les partages et de tous les pardons. La famille, cet arbre dont chaque branche s'élève séparée de sa voisine mais qui, sortie d'un tronc commun, se dresse vers un seul et même ciel. Le foyer familial, arbre qu'une même sève souterraine alimente avec au centre une « maman », peut-être le plus beau mot de toute la langue, celle que tous portent au c½ur comme un secret gravé. Le foyer suggère l'image du feu, cet âtre éclaire et illumine, réchauffe et enflamme, chante et réjouit. La famille, de nos jours, n'a peut-être plus malheureusement la majesté et l'aura d'autrefois, mais, elle demeure première et irremplaçable parce qu'elle reste le lieu de tous les éveils et de tous les départs. La famille est à la fois la mémoire joyeuse du passé, le climat chaleureux du présent et l'élan confiant de l'avenir. La famille enfin, symbole d'harmonie et de paix. Quand Jésus parle au sujet de sa propre personne de refus et de division au sein de la famille, elle devient symbole de la plus grande division qui soit. Puissions-nous mettre Dieu au c½ur de nos familles. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, c'est en vain que les ouvriers travaillent. » (Psautier)

Quant à l'humanité, la famille humaine, n'est- elle pas elle aussi, à l'image des paroles du Seigneur, bâtie sur le sable et sur le roc ! S'il est vrai que nous prenons la nature humaine essentiellement dans un état de non-reconnaissance, d'imperfection innée, mais d'émergence constante vers un mieux, alors tout est à reprendre pour chacun d'entre nous par le commencement, à chaque génération. La tâche du salut, la vocation au plein humanisme ou à la sainteté est à reprendre par chaque individu de la communauté humaine. Pour tous et chacun, rien n'est jamais définitivement acquis, rien n'est jamais définitivement perdu, personne ne doit jamais être définitivement abandonné. Pour chaque homme, le choix est impérieux et inévitable et la vocation incontournable : faire naufrage corps et bien ou lutter contre la tempête et sauver le navire ! Avec chaque homme, la tragédie d'être soi-même, sable ou roc, se joue tout entière.

Depuis Darwin, on sait que l'humain est l'aboutissement d'une lente, longue et difficile évolution, issue d'une laborieuse émergence de la matière. Dans cette mouvance, l'être humain reste imparfait, il se perçoit inachevé, il se ressent ambigu, divisé, complexe en son corps, anarchique en son c½ur, mystère en son esprit. Il progresse à tâtons, dans un effort ardu vers une intégration difficile de ses multiples virtualités. Dans l'exigence il construit laborieusement sa propre identité. Plus il s'ouvre au spirituel en lui, plus est intense la tension en son moi profond. Tous les mystiques ont parlé de cette ambivalence en l'homme à accueillir dans la candeur d'un c½ur humilié.

L'histoire humaine n'est ni un cycle monotone d'absurdités, ni la combinaison gratuite d'une série de phénomènes aveugles. Elle n'est pas plus l'exaltation d'utopies nostalgiques que l'incantation illusoire d'un triomphalisme terrestre futur à l'image d'un paradis perdu. La vie sur terre, malgré ses améliorations, ne sera jamais paradisiaque. La sécurité absolue n'aura jamais de réalité ailleurs que dans nos rêves. Mais le roc de la foi, lui, peut donner dès à présent à nos existences malmenées une stabilité, une solidité qu'aucun cyclone ne pourra détruire. Sable des espoirs farfelus des illuminés de la terre ou roc d'une expérience chrétienne comblant l'indicible besoin d'infini qui nous habite ? Tel est le choix. « Sous les pavés, le sable ! » disaient les protagonistes de mai 68. Le mai chrétien nous dit mieux : « Sur le rocher, la cité de Dieu, sur le roc, la Sion de l'âme «  », sur le Christ, la Jérusalem de notre foi.

Dans un monde qui chavire, où la meute des frustrés du sexe triomphe, où l'incompétence et l'ambiguïté des pouvoirs politiques n'ont d'égal que les dérives d'autres pouvoirs publics, magistrature ou police ; dans nos démocraties molles ou des cancrelats de la photo, des charognards de la pellicule se muent en dealers de faux rêves, en artisans de l'intox ou en voyeurs impudiques de toutes les intimités, dans ce monde d'éboulis, c'est à notre foi de s'accrocher, ferme et tenace, au rocher, à la pierre angulaire de notre existence qu'est le Christ. Loin de toutes les frénésies millénaristes, loin des hystéries collectives, musicales ou sportives, loin des fanatismes imbéciles d'ayatollahs analphabètes, notre foi nous mènera par les chemins de l'humilité et de la gratitude, de la compassion et de l'adoration vers un Dieu de bonté et un Royaume de paix. Quand un monde est bouclé sur lui-même, aucun bonheur n'est plénier, puisque rien n'est plus partagé. Ultime luxe de l'extrême malheur, il s'enroule sur lui-même et étouffe sa victime. Méconnaître notre véritable humanité, baptiser nos erreurs ou tuer notre conscience, c'est comme détourner un torrent, un jour de grand orage. Il retrouve sa pente naturelle et c'est la débâcle et la désolation.

Face aux lourdeurs des temps présents ou à la fuite en avant qui efface toute trace d'un passé spirituel magistral, il faudrait méditer l'image de St. Jean de la Croix pour comprendre que seule la foi en Dieu de Jésus-Christ peut rétablir les vrais équilibres. Le peigne, disait le grand mystique, commence par le haut du crâne pour démêler les n½uds dans les cheveux. Ainsi pour démêler nos impostures faudrait-il partir du point central de l'histoire qui est l'amour de Dieu pour nous. Nietzsche ne s'est pas rendu compte de la grande vérité qu'il énonçait lorsqu'il affirmait que Dieu aussi avait son enfer. Oui, son enfer c'est son amour pour nous, tant nous le lui rendons mal et réouvrons, à chaque coup, les plaies du Christ.

14e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

" Mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger ". Tellement plus facile à dire qu'à vivre surtout lorsque nous avons l'impression que tout nous tombe dessus, un peu comme si le ciel nous tombait sur la terre pour reprendre l'expression de la grande peur de la tribu d'Astérix et Obélix. Mais nous n'avons pas la chance de ces derniers : boire de la potion magique pour vaincre nos peurs, sauf pour Obélix qui comme vous le savez, était tombé dedans quand il était petit. Non, nous avons pas de potion, nous avons plus que cela : une foi, une confiance en ce Dieu qui se révèle en Jésus Christ et qui nous affirme : " mon joug est facile à porter et mon fardeau léger ".

Mais en quoi le joug de Dieu est il léger ? Me revient en mémoire, cette vielle histoire qui illustre très bien cette conclusion de Jésus. Un jour, un homme voit un petit enfant qui porte sur son dos un autre enfant qui était estropié. Il avait l'air de peiner sous le poids et avançait lentement, très lentement. Et malgré cela, les deux enfants souriaient, riaient. Ils ne semblaient pas heureux. Ils l'étaient et tout leur être rayonnait de ce bonheur. " C'est un bien lourd fardeau que tu portes sur toi " dit l'homme à l'enfant. " Non monsieur, ce n'est pas un fardeau répondit l'enfant, c'est mon petit frère ". La sagesse de l'enfant, de ce tout-petit laissa notre homme pantois. Dans ses mots à lui, l'enfant nous rappelle que ce qui peut nous sembler lourd à porter de manière rationnelle et réelle, est souvent léger lorsque c'est vécu dans l'amour.

Quand l'amour est au coeur de nos efforts, des défis que nous nous imposons pour grandir, parfois même pour survivre, le fardeau n'est plus fardeau mais expérience de vie. Seuls nous ne sommes pas capables de tout porter, c'est vrai. Nous avons besoin les uns des autres c'est-à-dire que nous nous portions les uns les autres. Et ce que le Christ nous invite ce soir (matin) c'est d'accepter de poser en lui les fardeaux qui nous semblent insurmontables.

Si ton joug est trop lourd, pose-le en celles et ceux que tu aimes. En le posant dans leur coeur, tu l'offres à Dieu qui le portera dorénavant avec toi. Bonheurs ou malheurs se posent en Dieu. Si nous le faisons au nom de l'amour, notre fardeau deviendra léger. Sur la croix, Dieu a pris tous nos fardeaux. Il partage avec nous ce poids en les portant. Ce que je vous affirme est clairement de l'ordre de l'irrationnel. Nous sommes au c½ur d'un mystère. Et ce dernier est le coeur de notre foi au coeur de nous-mêmes.

Heureusement pour nous d'ailleurs qu'il reste une part de mystère et d'inconnu dans nos vies. Il y a en effet un danger, un grand danger à vouloir tout comprendre. Le désir de connaissance nous honore mais je ne pense pas qu'il soit pour autant bon que nous nous y enfermions. Nous sommes et resterons toujours des questionneurs de vie, des chercheurs de Dieu. A force de vouloir tout comprendre, nous risquons de tomber dans le piège suivant : celui de penser que nous savons et entrer dans l'ère des certitudes qui nous enfermeront à jamais. Or si nous savons, comme le faisait remarquer à juste titre saint Augustin, nous n'avons plus besoin de croire puisque nous avons acquis la connaissance. Pourtant vivre sa foi, c'est passer sa vie à tenter de comprendre ce que nous croyons mais en reconnaissant que ce qui habite au plus profond de notre être est d'abord et toujours un mystère.

Un mystère qui ne peut se résoudre uniquement par les clés de notre raison rationnelle. Ce mystère se vit d'abord et avant tout au c½ur de nos émotions, de nos intuitions, c'est-à-dire de cette autre intelligence que les sciences humaines retrouvent aujourd'hui. C'est ce que les tout-petits de l'évangile avaient compris, le mystère de la foi se découvre, se dévoile, se révèle peu à peu, pas à pas dans le temps d'une rencontre, d'une relation et pas seulement dans les livres. Comme si Jésus nous disait que le mystère de la foi passe aussi par le coeur de l'être humain. Et c'est normal, puisque c'est à cet endroit précis que Dieu vit en nous. Le coeur est le coeur de la foi. Si ce que je vous dis est vrai, il ne me reste plus qu'à me taire pour que chacune et chacun entrent en soi pour vivre de cette foi.

Amen.

25e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Que les premiers soient derniers et les derniers premiers ! N'est-ce pas une parole bien surprenante ! Si, en ouvrant le journal du matin, vous appreniez qu'un gros industriel, directeur d'une multinationale, a tout à coup décidé de payer ses ouvriers sans tenir compte du temps réel de leur travail et qu'il a donné à chacun le même salaire fixe, ce serait un beau tollé de protestations ! Les patrons qualifieraient ce chef d'entreprise de sot ou d'inconscient. Les syndicats crieraient à l'injustice. Et, dans le monde ouvrier, chacun aussi, s'écrierait que c'est inadmissible, provocateur et immoral.

Cette parabole et le dicton qui la termine sont-ils la justification insensée de l'arbitraire ? De quoi s'agit-il ? Le sens immédiat de la parabole est donné par le contexte qui l'explique. Il est question à cet endroit de l'Evangile de Matthieu de la nature du Royaume de Dieu. Les disciples eux-mêmes mettent ce Royaume en procès : sera-t-il selon leurs vues, partial et sectaire ou selon les vues de Dieu, universel et d'amour ? En bref, donnons leur sens aux symboles. Le grand patron, maître de la vigne est Dieu lui-même. La grande entreprise, c'est la scène et l'histoire de l'humanité. Le travail à la vigne, c'est ce que chacun d'entre nous a à faire dans ses différents milieux de vie, lieux quotidiens de ses activités familiales, professionnelles, culturelles et civiques.

Voilà Dieu qui du matin au soir recrute, embauche lui-même l'humanité tout entière pour qu'elle fasse partie, un jour, du Royaume. Peu importe la génération à laquelle nous appartenons, l'appel de Dieu est lancé à tous pour travailler à la grandeur de ce Royaume. Notre Dieu est un Dieu qui donne sa chance et son amour à tous, qui appelle les hommes à partager sa gloire.

Le denier ou le salaire, toujours le même pour tous, est la part du Royaume qui nous attend. C'est, en d'autres termes, la communion aux choses éternelles et, dès à présent, notre foi au Christ.

Les ouvriers de la première heure sont le peuple élu de l'Alliance. Il ne lui sera pas donné plus qu'à ceux qui sont venus tard, plus tard et même à la dernière heure. Par-là, Jésus répond à une protestation de son peuple contre le rang égal donné aux pécheurs. Matthieu répond à la protestation soulevée par l'Eglise primitive contre l'accueil des non-juifs et l'appel missionnaire adressé aux hommes du monde entier.

Qui parle donc d'injustice à l'égard de qui ? En effet, le salaire est toujours le même : le ciel et Dieu qui nous adopte en sa bonté gratuite. Le salaire est toujours différent, selon la manière dont chacun l'accueille, là où il est au moment de sa vie. Le maître a respecté son contrat d'embauche. Oui, le Royaume sera donné en partie selon les mérites personnels d'un chacun, calculé aux heures de travail de leur effort d'amour, de charité et de sainteté. Dieu ne sera pas injuste à l'égard de ceux qui lui ont fait confiance. Par ailleurs, peut-on empêcher celui qui est juste d'être plus juste encore, d'avoir davantage encore d'amour et de bonté gratuite ? C'est de cela qu'il s'agit. Il y plus que la justice. Certes, il faut la respecter, mais il n'est pas défendu de la dépasser. C'est précisément le propre de Dieu qui est Amour. Dieu, propriétaire de la vigne, sonde les reins et les c½urs. Il ne juge pas selon la justice la plus courte mais selon les capacités et le vécu secret de chacun. Il ne juge pas seulement selon l'accumulation et la quantité des ½uvres mais selon la profondeur et la qualité de la bonne volonté. Il s'agit bien plutôt de l'égalité totale de tous dans l'amour unique et gratuit du Père qui se donne. A travers cette parabole, Jésus veut nous mener des pensées de l'homme aux pensées de Dieu. Il veut que nous nous réjouissions de la bonté de Dieu et que nous agissions de la même manière envers tous. C'est en regardant au-delà des apparences, en découvrant le noyau secret, que nous jugerons autrement. Le denier donné par Dieu est le salut éternel. Y-a-t-il un rapport possible entre un tel cadeau et nos mérites ? Qui peut revendiquer le ciel et la vie au sein de Dieu ? C'est la dernière réplique du maître aux ouvriers contestataires et révoltés de cet épisode chez Matthieu qui en livre le sens. « Parce que moi je suis bon, faut-il que vous soyez jaloux ? » Jaloux de quoi ? D'être trop aimés ? C'est bien ce que Dieu vous nous révéler. Tout est donné, offert, gratuit ! Qu'est-ce que la justice a à voir là ?

On comprend l'ordre de l'amour quand on aime. N'y a-t-il pas d'amour plus grand que celui de rester fidèle aux exigences d'un conjoint ? L'amour vrai vient de la liberté du c½ur. Là, il n'y a ni droit à exiger, ni obligation à donner, ni lois concernant le moment ou la durée. Un amour qui dépasse la justice n'est pas arbitraire, il est divin. Et cet amour divin est toujours neuf. Pour chacun, la vie est un mystère entre Dieu et lui. Partant de ce mystère, il ne faut plus comparer. Comme Israël n'avait pas à revendiquer son élection de peuple élu en privilège, ainsi, la fidélité de notre foi n'a rien à exiger. Faisons confiance à Dieu pour ce qui est de son amour et refusons de comparer nos mérites.

Alors, nous saisirons le sens de la conclusion de St. Mathieu. Oui, la justification, par Jésus, de la libéralité divine à l'endroit des pécheurs convertis et pardonnés, bouleverse nos hiérarchies de valeurs. De dernier, avoir la possibilité d'être premier, c'est le renversement qu'opère la parole de Dieu au sein de l'impuissance humaine. Ce qui règle notre statut devant Dieu, ce n'est pas la conscience de nos vertus mais c'est la force de notre foi. Pour Dieu, la plus grande misère reconnue et dont on ne prend pas son parti, appelle la plus grande miséricorde. C'est là le mystère des « droits de l'amour » en Dieu.

Rappelons-nous que Jésus ne nous a pas seulement parlé de bonheur et de renversement des valeurs mais que, dans l'évangile, des visages et des noms ont illustré « ces derniers devenus premiers ». Evoquons Marie-Madeleine et la femme adultère, Zachée et le centurion, Simon le pharisien et le bon larron... Ainsi la réalité va plus loin que la parabole. Aujourd'hui encore, la miséricorde de Dieu est toujours en chasse et opère en nos âmes les mêmes prodiges d'amour. Efforçons-nous d'acquérir cette compassion de Dieu exprimée en Jésus. Un regard clément sur la faiblesse, une attention vive à la blessure, une invitation à l'espérance... L'amour de compassion est cette inquiétude pour l'autre qui lui offre une chance, cette sollicitude de l'autre qui ouvre un avenir pour mieux vivre. Et si nous pouvions croire à cet amour de Dieu pour nous. Si nous pouvions être tendre comme Dieu !

30e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Ce matin (soir) au début de cette homélie, avec vous, j'ai envie de jouer à ce jeu télévisé qui a eu un grand succès durant de nombreuses années, mais comme je ne regarde jamais la télévision, je ne sais pas s'il est encore au programme. Il s'agit des chiffres et des lettres. Ce jeu nous permettra de mieux entrer dans la dynamique de l'évangile de ce jour. Voici, pour les chiffres, 10, 365, 245, 9 et 2 et en ce qui concerne les lettres, veuillez trouver l'anagramme de Marie. Donnons d'abord sens à tous ces chiffres. 10 pour les dix commandements évidemment. 365, non pas pour les jours d'une année civile mais pour les 365 interdits recensés dans l'Ancien Testament. 245, toujours dans l'Ancien Testament, représente les 245 prescriptions auxquelles il y a lieu d'obéir. 9 pour les béatitudes qui nous font découvrir que dans le Christ nous quittons le champ de la loi pour entrer dans celui du bonheur et enfin, le chiffre deux pour les deux commandements d'amour de Jésus. Il y a donc dans l'Ancien Testament 620 lois et interdits et seulement deux dans le Nouveau. Mais ces deux-là accomplissent les 620 anciens. Quant aux lettres, Marie est entre autre l'anagramme d'aimer, à l'image des lois du Christ.

Toute la loi et les prophètes se résument ainsi en deux commandements. Et il est important de souligner que les prophètes ont passé beaucoup de leur temps à dénoncer les excès du cultualisme et les abus de pouvoir de certaines lois. Par ces deux commandements nous entrons donc dans une nouvelle ère, celle de l'amour de Dieu et de son prochain. Comme le disait une des jeunes en préparant cette célébration : " penser à Dieu, c'est pas purée !". Nous pourrions effectivement estimé qu'aimer Dieu est quelque chose de difficile car nous ne vivons pas avec lui comme nous vivons avec nos amis, nos proches. Il n'est pas évident de le vivre dans la vie de tous les jours. Il est vrai qu'il est constamment présent même si nous n'y pensons pas.

Toutefois, la loi de Jésus est claire : tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Aimer n'est simplement un sentiment qui nous traverse. L'amour est une route sur laquelle nous marchons. Il est un faire, une construction qui dépend de nous pour qu'il y ait un avenir possible. Un peu comme si l'amour ne se suffisait pas à lui-même. Il n'est pas un sommet mais plutôt départ de la vallée suivi d'escapades sans fin. Aimer Dieu, c'est cela : avoir foi en l'Amour tout-puissant, au-delà de l'amour. Aimer Dieu mais comment aimer Dieu ? Peut-être en nous attardant quelques instants sur l'évangile du jour et surtout en soulignant le lien existant entre ces deux lois d'aimer Dieu et d'aimer son prochain. Il est vrai que le prochain est souvent plus proche de nous que Dieu lui-même. C'est ce que nous pourrions penser au premier abord.

Or Jésus est à nouveau très précis quant à ce second commandement. Il est second dans son énoncé mais pas dans son contenu puisque le Christ affirme : " et voici le second, qui lui est semblable ". " Semblable ", cela ne veut pas dire identique car l'être humain n'est pas encore Dieu. Non, " semblable " doit se comprendre autrement, il s'agit de reconnaître qu'il y a interpénétration des deux commandements, ils ne peuvent pas être compris de manière dissociée comme étant deux entités indépendantes. Le commandement de l'amour du prochain est semblable au commandement de l'amour de Dieu, c'est-à-dire que c'est dans l'amour de l'autre que je peux pleinement vivre de l'amour du Tout-Autre. Dieu me demande de l'aimer mais pas seulement dans une relation privilégiée entre Lui et moi, mais aussi d'apprendre à le découvrir, à le reconnaître et puis à l'aimer dans tous ceux et celles qui croisent ma route.

C'est en ce sens que l'amour n'est jamais atteint et toujours à construire. Si c'est vrai, par le Christ, nous découvrons qu'il est tout à fait possible d'aimer Dieu, que c'est quelque chose à portée de mains. Aimer Dieu, ce n'est pas tourner sa tête vers le Ciel et s'y engouffrer. Non aimer Dieu, c'est le chercher et le trouver en l'autre. Si Dieu vit en moi, il vit alors en chacune et chacun de nous. Dieu se laisse ainsi découvrir dans toute les relations de confiance, qu'elles soient d'amour ou d'amitié. Il est au c½ur de cette rencontre. De la sorte tout temps donné à l'autre n'est plus quelque chose d'humain mais bien de divin. Ne cherchons plus à aimer Dieu dans un ailleurs, ce n'est pas là qu'il réside. Aimons Dieu là où il est, en notre prochain. C'est-à-dire en vous, en moi.

Amen.

15e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

St. Matthieu, évangéliste et apôtre, est un homme précis et un bon pédagogue. Il a ordonné la vie de Jésus en alternant la parole et les actions du Messie en des doublets constants. Chez Matthieu, on voit Jésus à l'½uvre et on l'entend parler. Dans l'exhortation de cette parabole, plusieurs indices nous font comprendre qu'un acte important va se passer.

Cette parabole est le point central du plus important des 5 discours qui divisent l'évangile de Matthieu. Le grand discours sur les paraboles du Royaume est le 3ème. Des 5 discours. Il est donc au centre de cet évangile. Autre indice de son importance, Jésus est assis et les gens, eux, écoutent debout. C'est une foule immense, note St. Matthieu. Ce symbolisme voulu a une signification. Devant toute l'humanité, Jésus prend la position du juge, de celui qui se prononce définitivement, comme Dieu le fera au jugement dernier. Autre indice, Jésus parle : « il dit beaucoup de choses » selon l'expression de l'évangéliste. Il faudrait traduire : Jésus « révèle ». Et ce mot est repris 5 fois. Il s'agit donc bien d'une révélation importante.

Enfin, la dernière clef, est l'introduction du discours : »En ces jours-là » : nous sommes à Capharnaüm, près du lac de Génésareth, appelé par les contemporains : mer de Galilée. Cette formule fait toujours allusion au « jour du Seigneur » c'est à dire un moment où Dieu se manifeste, où Dieu sort de son silence. Et l'on est renvoyé à l'incarnation du verbe, moment où le Fils, Parole du Père, sort du Père et descend du ciel pour faire irruption dans l'histoire.

Avant de dire un mot sur ce que nous faisons de cette parabole, acte de révélation de Dieu, il nous faut nous interroger sur l'identité de ce semeur qui nous est présenté ici. Qu'elle est la révélation première que Dieu veut nous faire ? Porte-t-elle sur les différents terrains en question ou sur le Semeur ? Matthieu insiste d'abord sur le symbole de Jésus- Semeur :« Un semeur sortit pour semer » dira-t-il.

Le peuple d'Israël, dans son attente du Messie promis, n'attendait pas un semeur, un moissonneur, mais un Messie et un maître puissant. Israël l'avait proclamé. Avec le Messie on allait assister à la grande épuration du jugement final. Si Jésus est Christ, oint et messie, il doit causer le grand bouleversement final, il doit détruire définitivement le mal, libérer Israël de l'ingérence illégitime du pouvoir impérial romain, mettre un point final à l'histoire humaine païenne, et même, il doit enfin introduire les élus dans la Gloire. Or que se passe-t-il ? Pas grand chose ! Cet ex-charpentier, prédicateur pérégrinant, raconte des histoires, soulage et guérit, conteste ouvertement le Sanhédrin, mange avec les pécheurs(il est donc contaminé par le mal), parle aux femmes, se laisse toucher par elles et défend une adultère. Etrange Messie ! D'ailleurs, les titres que Jésus se donne dans le chap.9 de St. Matthieu vont dans le même sens. Il est le serviteur qui enlève les infirmités des hommes. Il est le Seigneur de la moisson et le maître de la tempête. Il est le « Fils de l'homme », titre messianique par excellence, qui pardonne. Il est le médecin. Il se présente comme le berger, le bon pasteur d'un troupeau qu'il mène paître. Il est l'époux, amoureusement épris d'une humanité qu'il comble de sa présence et dont l'absence, un jour, sera comme un jeûne préparatoire à une renaissance éternelle. Il n'est pas comme un époux, il est l'époux. Il n'y en a qu'un au monde. Il joue ce rôle qui n'appartient qu'à lui. Il est totalement identifié à son personnage. En tous ces titres cités, il est aussi totalement absorbé par son ½uvre qu'un inventeur par sa recherche ou un grand acteur par son personnage. Par tous ces titres- symboles, Jésus fait apparaître sa propre nature, il révèle son identité.

Ici donc, l'ex-charpentier devient semeur. Mais dans sa vie, on vient de le rappeler, il côtoie le mal. Aussi, ce semeur, on le surveille de près, on l'accuse même de diablerie et de perturber la foi d'Israël et l'ordre public, à tel point que Jean-Baptiste lui-même, dans sa prison, est pris de doute. A la question du Baptiste et de beaucoup sur l'identité du Messie, Jésus répond par cette parabole et nous dit, comme à ses auditeurs du moment : ce n'est pas l'heure de l'engrangement, ce n'est pas encore le temps de la moisson, c'est le temps des semailles, c'est le temps des commencements et des recommencements. Il sait la résistance du monde face au bon grain de sa Parole. Mais il sèmera. Et la semence rencontrera bien un jour, quelque part, la bonne terre. Isaïe55 l'avait déjà dit : on n'arrête pas la Parole de Dieu. La fine pointe spirituelle de la parabole est là. Le beau geste large du semeur symbolise l'infinie et merveilleuse prodigalité de Dieu. L'agriculteur divin déploie le grand champ d'amour de son Royaume. Le Messie proclame à tous vents la Bonne- Nouvelle du salut et annonce une ère de grâce à toute l'humanité. L'identité de Jésus- Messie est là dans sa magnanimité de vie et de pardon. L'identité de Dieu est là dans la grandeur plénière de son amour.

Jésus avait mis l'accent sur le labeur du semeur. Matthieu, lui, donnera une explication aux premières communautés chrétiennes de cette histoire en mettant l'accent, non sur le travail du semeur, mais sur les différents terrains qui recueillent la semence et qui sont les manières dont tout disciple peut recevoir l'annonce du Royaume. Ces différents terrains ne définissent pas seulement des groupes particuliers ou des catégories bien définies de chrétiens, ils nous disent encore comment chacun de nous cultive en lui-même la Parole de Dieu, quel accueil chaque disciple lui réserve. Toutes ces semailles, nous les retrouvons en chacun d'entre nous à différents moments de notre vie spirituelle. Les terres arides ou les maquis broussailleux expriment, chacun à leur manière, la pauvreté de notre accueil.

Parfois, nous sommes si distraits ou si indifférents, si lunatiques ou inconscients, si peu persévérants ou si centrés sur nous-même ! Et la Parole de Dieu passe. Nous la laissons s'étioler comme les graines mangées par les oiseaux. D'autres fois, notre c½ur n'est pas disponible. Nous sommes encombrés par nos soucis, si enfermés dans nos défauts, étouffés par tant de préoccupations farfelues et futiles que la parole entendue se perd. Cette parole de vie s'égare comme perdue dans les ronces de nos inquiétudes inutiles et de nos bonnes intentions stériles. A d'autres moments encore, on entend cette parole et on se dit : « Il faut agir ! » Mais voilà, nous sommes si sollicités par nos prestations en tout genre, si stressés par nos vies surpeuplées qu'il y a mieux à faire que répondre à nos engagements religieux. Oh ! bien sûr on essaye un peu, un petit peu, un peu trop vite, un peu trop court, puis on se laisse reprendre par le train-train coutumier de la vie et ses sollicitations journalières, et on remet à plus tard, c'est-à-dire à jamais, nos devoirs spirituels. Et la Parole de Dieu meurt, comme ces graines sans racines qui sèchent et périssent sur l'asphalte durcie de notre vie profane. Mais s'il y a des échecs et des gâchis, il n'y a pas que cela en nous. Il y a mieux. Il y a aussi du positif . Notre c½ur qui écoute et qui comprend, qui accueille et qui réfléchit est le bon terreau qui garde la vérité libératrice de la foi et qui la médite, l' âme fidèle et généreuse qui s'engage, aime et agit.

Une dernière leçon de la parabole regarde l'Eglise. L'évangéliste Matthieu note que Jésus monte dans une barque. Elle est le symbole évangélique de l'Eglise comme l'eau est l'image biblique du monde inconsistant, fragile, dangereux, incertain où règnent les forces du mal. Il y a là une lumière sur le rôle de l'Eglise. L'Eglise doit circuler vers tous les rivages. L'Eglise doit parler à toutes les cultures. L'Eglise doit comprendre qu'il faut semer, semer toujours, sans préjuger des résultats, semer sans oublier aucun sol, sans juger les terrains qu'elle sillonne.

Mais, voilà, au lieu de semer l'Eglise veut elle-même aussi moissonner. L'Eglise oublie qu'elle n'est pas le Royaume. Elle veut elle-même percevoir les résultats, avoir la décision finale, jouir déjà de la récolte définitive. Mais, c'est à l'infinie miséricorde de Dieu, à sa sagesse que l'Eglise doit laisser le soin ultime de moissonner et d'engranger. D'une part, le disciple ne doit jamais être en avance sur le calendrier de la vie, ni l'apôtre sur le calendrier divin ; d'autre part, le Royaume n'est pas de l'ordre irréel de l'utopie ou des désirs terrestres du magistère, mais il est de l'ordre de la conversion et de la sainteté.

A chacun d'accueillir la Parole de Dieu selon ce qu'il est, selon ce qu'il peut, mais aussi selon ce qu'il veut, selon sa bonne volonté foncière. Peut-être serons-nous parfois des disciples pleins d'enthousiasme, comme Pierre et André, Jacques et Jean quand on vient les appeler à laisser derrière eux leurs filets. Ou, peut-être, nous sentons-nous menacés, comme ces mêmes disciples quand ils jugent inquiétant cet homme étrange qui les entraîne jusqu'au Golgotha. Ou peut-être encore, nous trouverons-nous plutôt dans le désespoir comme Pierre sur le chemin de la croix ou ces 2 disciples déboussolés sur le chemin d'Emmaüs. Ou tout simplement, sommes-nous plongés dans le doute, comme les foules du temps de Jésus ou nous-même aux époques de conjectures obscures et périlleuses.

Aussi, rappelons-nous, humblement et inlassablement, que nos efforts de perfection seront toujours porteurs de déceptions parce que jamais parfaitement atteints. D'où les éternelles tentations de fuite, d'abandon et de découragement. Mais plutôt que de courir après la fleur bleue d'une intégrité perdue ou le mythe d'une innocence absolue, appliquons-nous plutôt à recevoir les exigences de l'Evangile dans le terreau généreux de notre bonne volonté première et de nos efforts patients, soutenus, quotidiens. La bonne terre en nous est toujours là. Dès lors, le projet d'amour de Dieu sur nous réussira malgré la lourdeur du monde pécheur et de notre incommensurable faiblesse personnelle.

La miséricorde de Jésus- semeur, ce n'est pas la capacité de Dieu à oublier mais la compassion indicible du Seigneur, c'est son infinie fertilité qui donne vie à ce qui était mort. Toute vie humaine, même dégradée, peut faire refleurir son printemps. A nous d'être, pour ce faire, le jardinier de Dieu sur les terres fertiles de nos vies.

31e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2000-2001

L'histoire de Zachée, nous la connaissons sans doute toutes et tous. Elle nous rappelle des souvenirs de notre enfance où Zachée dans son arbre nous était conté pour mieux comprendre la vie de Jésus. Zachée est aujourd'hui encore tellement connu, qu'il est même devenu un exercice type chez les logopèdes ou dans la formation des frères dominicains pour apprendre à développer certains muscles de la langue en disant de plus en plus vite, la phrase suivante : " Jésus s'en va chez Zachée ". Je vous invite à faire cet exercice, mais plutôt chez vous afin d'éviter une cacophonie dans notre église.

Au-delà du périlleux exercice de diction, la phrase " Jésus s'en va chez Zachée ", et je prends quelques risques en la répétant, peut être reçue comme une invitation à nous remettre fondamentalement en question. Je m'explique. Lorsque j'avais huit ans, ma maman m'a avoué que tout ce qui tournait autour des cloches de Pâques ou encore d'un grand saint dont je tairai le nom pour que le rêve puisse se poursuivre dans le c½ur des plus jeunes, étaient le fruit de la générosité d'autres. Vous ne pouvez imaginer à quel point fut le choc. J'y avais tellement cru. Ma déception passée, mes premiers mots l'ont alors effrayée lorsque je lui ai demandé : " maman, et Dieu, c'est pas vrai non plus ? ". Vous imaginez son désarroi. Comment me faire comprendre qu'il y a des choses auxquelles je ne dois pas croire alors que d'autres, qui me semblent encore plus invraisemblables, je devais les accepter. Dieu existe et j'étais prié de ne pas remettre cela en question.

Dieu existe. Je ne peux le prouver puisque nous sommes dans le champ de la foi. Une foi, aujourd'hui encore, parfois traversée de certains doutes. Est-ce vraiment vrai ? Existe-t-il réellement alors que je ne vois rien ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Avons-nous la bonne interprétation et sommes-nous sur la bonne voie ? Ces questions nous traversent parfois l'esprit. Alors imaginons-nous un instant non plus que " Jésus s'en va chez Zachée " mais plutôt " Jésus s'en vient chez nous ". Nous sommes à la maison, afférés aux tâches quotidiennes, quelqu'un sonne à la porte. Nous le reconnaissons. Je ne sais pas vous dire comment et pourquoi. Mais son regard nous transperce et nous avons la conviction intime que le Fils de Dieu est bien devant nous. Passé cette surprise émotionnelle, notre raison reprend vite le dessus. Nous lui posons alors quelques questions pour être vraiment certain de ne pas s'être trompé. Peut-être que les incrédules lui demanderont de revenir à un autre moment pour vérifier cette certitude qui les envahit. Voilà, Jésus est chez moi, devant moi. Je lui parle de ce que je vis, de ce que je ressens, de mes questions : suis-je sur la bonne voie ? est-ce que je le déçois ? Dieu pardonne-t-il réellement ? Lui, ne me dit sans doute pas grand chose. Il me regarde et dans ses yeux je lis toute la tendresse de Dieu. J'ai confiance, je suis bien. Après un temps, il décide de s'en aller. Il est vrai qu'il a encore tant de gens à rencontrer. Et je me retrouve seul face à moi-même mais cette fois avec la joie de vivre dans le c½ur de Dieu. La foi n'est plus une question, elle est certitude. Je n'ai plus d'interrogations sur la divinité mais bien sur le sens de mon humanité. Je décide alors de vivre intensément. Peut-être même que je me mettrai en marche sur les routes pour partager l'expérience vécue. En tout cas je m'impliquerai beaucoup plus encore. Toutes les valeurs que j'estime fondamentales ne sont plus de vain projets à réaliser mais bien le c½ur même de ce que je veux vivre. Elles ouvrent la voie à la vie ici et maintenant. En Dieu, je me lance sans peur, je n'ai plus d'inhibitions. Je vis dans la confiance. Et à chaque croisement, je me tourne vers lui et je communique, je prie avec cette certitude d'être entendu. Suis-je entrain de vous conter un rêve éveillé ? Je ne le crois pas. " Jésus s'en va chez Zachée ". Cela s'est passé, il y a deux mille ans. Dieu s'est incarné et a partagé notre humanité. A chacune et chacun d'y croire encore et toujours. Et Dieu ce soir (matin) frappe à la porte de notre c½ur. Allons-nous lui ouvrir sachant que notre vie en sera bouleversée, transformée ? " Jésus s'en vient chez moi ", cela se vit à chaque instant. Amen

26e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2000-2001

Il y a trois jours, j'ai vécu une expérience évangélique merveilleuse. Je suis allé mangé dans un McDonald. J'étais au premier étage de ce genre d'établissement et de l'autre côté de la rue, au même étage, se trouvait un restaurant hyper-chic. Je me suis alors mis à méditer sur l'évangile de ce jour. Moi mangeant avec mes mains ce McChicken et ces frites et de l'autre côté, des gens se délectant de petits mets. Je ne me suis cependant jamais imaginé être à la place de Lazare. Le lien qui m'était venu à l'esprit était le suivant. Au McDo on mange avec ses doigts, il n'y a pas de couverts. Comme à l'époque de Jésus d'ailleurs. Ce Fast-food n'a donc rien inventé. Par souci de propreté aujourd'hui nous recevons des serviettes. Dans l'évangile, les gens s'essuyaient les mains avec des mies de pain. Nous voyons alors la désolation de Lazare. Ce ne sont donc pas de simples miettes tombées de la table qu'il attendait. Pire, il espérait au moins pouvoir bénéficier des déchets du nettoyage des mains du riche et de ses convives. Nous retrouvons ici donc le style de l'évangéliste Luc où chaque détail est important.

Arrêtons-nous un instant sur ce riche. Un riche parmi tant d'autres. Un riche qui n'était pas mauvais. Il était simplement riche. Riche d'argent et riche de lui-même. Un riche se suffisant à ce point qu'il n'a même pas besoin de recevoir un prénom. Un riche tellement riche qu'il pouvait festoyer tous les jours. Un riche se prélassant de la richesse et du luxe. Un riche qui tout simplement s'est endormi à la vie. Ce texte nous dérange par la dureté de ses propos, par cette condamnation sans appel de quelqu'un qui n'a pas fait le mal si ce n'est qu'il ignorait tout ce qui était différent de sa condition. Il ne voyait pas. Il ne voyait plus. Il se suffisait à lui-même ayant oublié ce principe premier que nous sommes des êtres de relation puisque nous sommes nés et nourris de celles-ci. Seul nous ne pouvons pas exister. Nous avons besoin les uns des autres pour vivre dans la foi et l'amour, la persévérance et la douceur, rapporte saint Paul. Par ces lectures nous sommes conviés à ne pas nous aveugler de ce qui nous entoure, à ouvrir les yeux sur les réalités de notre monde non pas pour nous en apitoyer mais pour participer de manière positive à la réalisation de la création. Rien de plus. Rien de moins. C'est exigeant et tout nous a été donné dans les Ecritures pour saisir l'ampleur de notre tâche. Nous n'avons pas d'excuse selon l'évangéliste. Tout est là et nous sommes partagés entre l'urgence du royaume et l'urgence de l'instant présent. Nous sommes un peu dépassé par le courant de la vie. Tout va tellement vite, trop vite. Et nous cherchons des circonstances atténuantes, justifiant nos choix, nos options. Dans notre logique, nous restons d'ailleurs souvent cohérent et en harmonie avec nous mêmes. Nous avançons à tâtons, nous reculons, nous trébuchons mais nous marchons aussi et nous avançons à notre rythme, avec ce que nous sommes. Telle est la vie terrestre.

Conscient de notre propre réalité, nous pouvons être indignés devant le comportement de Dieu au travers des mots d'Abraham. La facture est plutôt salée : le riche n'a même pas droit à une petite goutte d'eau qui apaiserait sa langue de feu. Pire encore, alors que notre riche se soucie de ses propres frères restés sur terre, implorant pour qu'ils puissent changer d'attitude, Dieu fait la sourde oreille. Pas de miséricorde. Pas de pardon. Un jugement, une condamnation. Où est notre Dieu d'amour ? Où est-celui qui nous rassemble ce soir (matin) ? Est-il vraiment un Dieu vengeur, le sourci plissé, la foudre entre les mains ? Un Dieu se délectant dans la souffrance ? Dieu nous punit-il éternellement ? (On ne peut pas croire que Dieu va laisser son enfant dans le coin indéfiniment constatait un de ceux qui a préparé cette eucharistie). Et nous voilà revenir au mystère de la mort avec son enfer ou son purgatoire pour les plus optimistes. Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà traversé cette mort, il m'est donc très difficile de l'aborder. Je ne sais pas si ces lieux que je considère comme horribles existent. Mon seul espoir est que s'ils existent, ils seront vides à la fin des temps. Avec John Hick, philosophe anglais, je partage l'idée que l'enfer serait l'échec de Dieu puisque certains ne seraient pas sauvé. Quoiqu'il en soit nous pouvons passer des heures à en parler, sans pour autant trouver de solution. Acceptons la dureté des propos de l'évangile de ce jour non pas comme un événement historique mais plutôt comme une invitation faite à chacune et chacun d'avoir la simplicité de se remettre en question et de se demander : " mes actions et mes paroles sont-elles véritablement enracinées dans la foi qui m'habite ? ". A nous d'y répondre. Amen.

32e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2000-2001

En quelques secondes, dans un stupide accident de voiture, il perd la femme de sa vie et ses deux jeunes enfants. Réalisant le drame, cet homme se met alors à crier la mort. Quelque chose en lui s'est déchiré à jamais. Trois vies se sont envolées vers ailleurs et lui, du plus profond de sa solitude, ne peut exprimer avec des mots humains, la souffrance intérieure qui le tenaille. Il a mal, tellement mal et rien ne peut le calmer, diminuer sa peine. En tout cas, pour le moment. Seul le temps adoucira cette blessure même si de temps à autre, sans comprendre pourquoi, une lame de fond à nouveau le submergera. Aujourd'hui, dans l'ensemble, il va mieux. Il continue de vivre ou de survivre. Mais c'est vrai aussi que par moment, il glisse sans pouvoir s'arrêter dans cette faille intérieure où il refait avec douleur l'expérience du vide insoutenable laissé en lui par la perte de ces trois vies qui sont de l'autre côté de la lumière.

De l'autre côté de la lumière, mais existe-t-il vraiment quelque chose ? Nous sommes en droit de nous la poser cette fameuse question. Aucune certitude. Juste une espérance. Cette dernière dépendra de l'intensité de notre foi en Dieu et du crédit que nous accordons aux Ecritures. Ce soir (matin), Jésus dévoile un coin du mystère. Il ne se laisse nullement piégé par ces Sadducéens qui ne croient pas à l'idée de la Résurrection. En déjouant leur intention malveillante, le Christ nous surprend à nouveau. Tout d'abord, en Dieu, la mort n'est qu'un instant. Nous la traversons et nous n'y résidons pas. Nous poursuivons ce que nous avons entamé sur cette terre. Dieu nous accueille en lui et aucune image connue ne peut décrire ce mystère. Nous sommes hélas bien incapables d'envisager ce qui peut bien se passer de l'autre côté. Un peu comme l'expérience suivante : lorsque nous visitons un zoo, nous découvrons les animaux, nous les voyons mais ils ne sont plus tout à fait eux-mêmes puisqu'ils sont enfermés, en cage. Ils sont tellement différents, ils ont perdu une partie de leur identité. Lorsque nous les visitons dans leurs milieux naturels, l'image qu'ils offrent, en pleine liberté, n'a plus rien à voir avec ce que nous avions découvert chez nous. Tant que nous n'en avons pas fait l'expérience, nous ne pouvons pas saisir la beauté de la vie animale dans leur milieu originel. Il en va de même avec la vie.

Nous vivons notre vie ici et maintenant. Demain, nous serons dans la vie éternelle. Tant que nous ne ferons pas ce grand saut nous ne pourrons pas nous émerveiller de tant de beauté et d'amour. Notre vie aujourd'hui n'est peut-être finalement qu'un avant-goût de ce qui nous attend. C'est possible et nous restons ici-bas avec nos questions : serons-nous les mêmes ? à la résurrection aurai-je le corps de mes 20, 40, 60 ans ou plus âgé encore ? si je perds un membre, est-ce que je le retrouverai de l'autre côté ? nous reconnaîtrons-nous les uns les autres ? où se situe-t-il notre au-delà ? celles et ceux qui sont de l'autre côté, sont-ils vraiment là alors que trop souvent nous butons sur un terrible silence ? Des questions qui resteront sans réponse pour longtemps encore. Sauf si nous prenons les dires de Jésus au sérieux. D'après lui, nos morts sont bien vivants. Quelle formule paradoxale. Ils sont vivants sans pour autant être réinstallés confortablement dans une demeure spéciale communément appelée le Ciel, le nouvel Eden. Les morts en effet ne sont plus dans un lieu. Ils sont dans un état. Un état de bonheur dans lequel ils nagent. C'est la raison pour laquelle, ils sont devenus semblables aux anges, filles et fils de Dieu. Il vivent dorénavant la vraie vie, la vie des enfants de Dieu. Qu'est-ce à dire ? Je n'en sais rien. Le monde de Dieu semble tellement différent du nôtre. Ma seule espérance est de croire ce que l'évangile dévoile aujourd'hui. N'appelons plus celles et ceux qui sont partis de l'autre côté de la vie : les morts. Ils sont vivants, les grands vivants de notre histoire puisqu'ils vivent en Dieu, dans cet état de bonheur éternel. Si nous y croyons, malgré notre tristesse d'être séparés, réjouissons-nous pour eux et vivons de cette espérance que leur état est à ce point merveilleux que pour rien au monde, ils ne souhaitent revenir sur notre petite terre. Ils vivent à jamais en Dieu l'immensité de l'éternité. Ils sont vivants, bien plus vivants que nous n'aurions pu l'imaginer. Ils sont les grands vivants. Amen.

Tous les Saints

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2000-2001

Lorsque la météo annonce un temps de Toussaint, tout de suite nous imaginons un temps de grisaille, une pluie fine sous un ciel bien gris. Un peu comme si la déprime était au goût du jour. Certains pourraient même aller jusqu'à dire que puisque tout est lugubre et maussade, c'est que c'est vraiment la Toussaint. S'il en est ainsi nous devons reconnaître que la Toussaint est la fête de l'opposition. Opposition à la grisaille, opposition à toute forme de tristesse. En effe,t la Toussaint est une fête qui ne parle que de bonheur, c'est-à-dire la Toussant des Béatitudes. Par neuf fois nous entendons dans l'évangile de ce jour le terme " heureux ". Ce n'est donc pas Toussaint des ambiances de cimetière mais plutôt Toussaint la fête. Notre fête. Alors à toutes et à tous : bonne fête.

Oui, c'est bien notre fête. Par les sacrements, nous sommes devenus Corps du Christ et Temple de l'Esprit. Nous sommes appelés à la sainteté de Dieu. Cela nous paraît peut-être impensable, impossible. Et pourtant telle est notre condition humaine : l'appel à la sainteté. Et le Père, par son propre Fils, nous donne les moyens de réaliser un tel objectif : ces fameuses béatitudes. Le chemin de la sainteté est celui de la réalisation des béatitudes en nous. Si nous essayons de les vivre approchons de ce qui paraît tellement loin de nous. Heureux nous sommes parce que nous avons reçu le plus cadeau qu'il puisse nous être donné : celui de vivre notre vie. Elle peut parfois nous sembler faite d'embûches, de dérapages, c'est vrai. Mais avant tout elle est belle et vaut tellement la peine d'être vécue. Cette vie reçue nous en sommes responsables et c'est la manière dont nous traverserons les événements qui nous permettront de nous rendre compte que nous ne passons pas à côté d'elle, que nous y croquons à pleine dents. Oui, la vie est belle et heureux sommes-nous. Désencombrons nous alors de tout ce qui nous empêche de nous rendre compte d'une telle réalité et retrouvons le sens de nos existences. Pour nous, croyantes et croyants, il passe immanquablement par la foi en Dieu. Un Dieu qui ne nous demande pas de souffrir, de peiner. Un Dieu qui nous demande tout simplement d'être heureux : avec ce que nous sommes.

La sainteté à laquelle nous sommes appelés variera d'une personne à l'autre. En fonction de nos qualités et de nos fragilités nous serons plus à même de commencer à développer une béatitude plutôt qu'une autre. L'essentiel, c'est qu'à la fin du parcours nous ayons comme souci de les vivre toutes. Certains auteurs envisagent les béatitudes comme étant le renversement des dix commandements. Nous ne sommes plus dans l'ordre d'une loi vétéro testamentaire complètement dépassée. Par le Christ, nous entrons dans une ère nouvelle, celle des béatitudes. Une ère qui reconnaît que l'important sur la terre, c'est le bonheur. Et s'il y a plusieurs béatitudes, c'est pour nous rappeler que le bonheur comme tel n'existe pas. Le bonheur se construit chaque jour. Nous seuls pouvons le réaliser. Le bonheur n'existe pas par essence et pourtant nous le vivons. Tout simplement parce que le bonheur est le fruit d'une somme et d'une multiplication. Le bonheur est la somme de tous les petits bonheurs que nous vivons : un sourire, un regard, un geste de tendresse, un acte de solidarité, un refus de juger et de condamner, une parole de compassion voire même de pardon, une oreille attentive, une épaule sur laquelle sécher ses larmes, un souci de paix, un cri face aux injustices. Ces petits bonheurs sont les béatitudes d'aujourd'hui. Celles que nous pouvons vivre quotidiennement. Notre vie en sera complètement transformée. Nous pourrions alors nous contenter d'une telle addition et vivre notre vie. C'est possible mais j'ai l'impression que nous vivrions un fameux manque. Pour nous qui avons reçu le don de la foi, l'addition doit se compléter par une multiplication. En effet, pour qu'il y ait vraiment bonheur, nous devons multiplier la somme des petits bonheurs que nous vivons par le message du Christ Ressuscité. Dieu s'est incarné parmi nous pour que nous ayons la vie et que nous l'ayons en abondance. Vivre sa vie par le prisme de la foi rend la vie plus belle encore car nous lui donnons sens. Dans la foi, nous vivons notre vie en Dieu. Que les béatitudes soient pour chacune et chacun de nous un chemin merveilleux vers la sainteté, notre sainteté ici et maintenant.

27e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2000-2001

" Il ou elle d'ailleurs aura bien mérité son ciel ". Ce genre de phrase, il m'est déjà arrivé de l'entendre sur le parvis de notre église après la célébration de funérailles. Il est évidemment difficile de défier de telles affirmations surtout au moment où nous disons au-revoir à quelqu'un pour la dernière fois. Mériter son ciel comme si ce dernier ce méritait. Le ciel ne se mérite pas, il se donne à vivre éternellement. Nous pourrions passer toute notre vie à faire le bien, à répandre la bonne nouvelle, à prendre le temps pour les autres, à offrir le meilleur de nous mêmes à chaque instant. Malgré tout cela nous ne mériterons rien. Nous resterons à jamais aux yeux de Dieu des serviteurs quelconques, des êtres inutiles n'ayant fait que ce que nous avions à faire. Face à de telles affirmations de l'évangile, notre ego en prend un sacré coup. Notre image de marque est attaquée. Nous faire traiter de la sorte alors que nous pensons ½uvrer pour le royaume de Dieu. C'est dur à entendre mais tellement vrai. Tout simplement parce que dans le champ de la foi, Dieu attend de nous d'être avant tout des semeurs. Le reste il s'en occupe lui-même. Cela ne nous appartient pas. Nous nous semons et si Dieu est vraiment Dieu, il prendra la relais. Tout simplement parce que par l'amour et dans l'amour Dieu agit en nous.

Or l'amour n'est jamais une question de mérite, de calcul. Si nous nous mettons à comptabiliser nos sentiments, nous risquons de les perdre à jamais. Même s'il est vrai que c'est plus facile à dire qu'à réaliser. " Un je t'aime " prononcé qui ne reçoit en écho qu'un silence, peut parfois faire mal, très mal. Et pourtant c'est trois mots offerts ne devraient être que l'envol de notre lumière intérieure dans l'astre de l'autre. Ils deviennent ainsi étincelle dans notre ciel étoilé de tous ces " je t'aime " reçus. En ce sens, ils sont eux aussi inutiles, quelconques. Nous ne faisons que dire ce que nous ressentons. Il n'y a aucun mérite. Les sentiments naissent d'une émotion sur laquelle nous n'avons aucune prise, aucun contrôle. Ils surviennent en nous et nous submergent comme une lame de fond prenant tout sur son passage. S'il en va ainsi de l'amour, il en va de même pour Dieu qui est Amour. Dans l'amour, comme dans la foi, nous sommes conviés à faire confiance. Et pour avoir confiance en l'autre qu'il soit humain ou divin, je dois d'abord devenir monde pour moi pour l'amour d'un autre. Il y a donc tout ce travail sur soi, ce désir de se connaître pour mieux aller à la rencontre de l'autre, cette capacité, découverte d'avoir confiance d'abord en soi pour pouvoir mieux se laisser apprivoiser par l'autre. C'est ce chemin tout intérieur d'oser croire en ses propres ressources, se reconnaître apprécié et reconnu pour ce que je suis. Tout inutile que je sois d'ailleurs. En ne me niant pas pour toi, je deviens plus moi et je découvre ainsi la beauté. La mienne, la tienne. Je peux alors lâcher prise, m'abandonner, refuser de tout contrôler et t'offrir ainsi mes fragilités à toi Dieu ou être aimé. Je commence alors à voir la vie par tes yeux et ce, toujours dans l'amour ou la foi. C'est pourquoi, je ne me suffirai jamais à moi-même. La rivière de ma destinée se détourne de son propre cours pour se perdre au coeur de nos images où chaque pensée, chaque acte vaut un royaume. A ce moment précis, nous sommes enlevés de nous-mêmes. Nous découvrons un espace plus grand que nous : où l'amour infiniment dépasse l'amour, où la foi infiniment traverse la foi. Il nous suffit de vivre alors de cette confiance. Une confiance, comme dans l'extrait de notre évangile de ce jour. Un confiance qui permet à la vie de jaillir en nous et autour de nous dans l'amour. Car comme l'écrivait une amie, comme on ose la vie quand on vient au jour, on ose l'amour quand on vient à la vie. L'amour, la vie, la foi, trois dimensions essentielles de nos existences qui s'enracinent au plus profond de nos êtres. Elles trouvent leurs sources en nous. Et toutes les trois sont gratuites. Elles nous sont offertes. Nous n'avons aucun mérite. Puissions-nous chacune et chacun découvrir que c'est dans cette inutilité-là que réside notre bonheur. Oui, toutes et tous, nous sommes des serviteurs inutiles. Et c'est tant mieux. En confiance, réjouissons-nous d'avoir reçu la vie, l'amour et la foi. Amen.