Sixième dimanche de Pâques (B)

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 6/05/18
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2017-2018


Si vous habitez Liège, sans doute, connaissez-vous le Squash 22, cet établissement situé rue des Vingt-Deux près de la gare des Guillemins, rue baptisée de la sorte en hommage au Tribunal des XXII, une institution judiciaire de la principauté qui fut active pendant plus de six siècles.  Comme quoi, on en apprend des choses en venant à la messe !  Mais connaissez-vous le dimanche des 22 ?  Eh bien, c’est aujourd’hui.  Dans la première lettre de Jean ainsi que dans l’évangile que nous venons d’entendre nous avons entendu 22 fois le verbe aimer ou ses dérivés : 10 fois dans la Lettre et 12 fois dans l’Évangile !

Nous célébrons donc bien le dimanche des 22 ou pour le dire autrement « le dimanche de l’amour ». Et ce qui est encore plus merveilleux, c’est que le verbe aimer y est conjugué à toutes les personnes. Il est heureux que nous ayons un dimanche de l’amour car l’amour restera toujours un mystère dont nous n’avons pas toutes les clés.  Alors, plutôt que de chercher à résoudre ce mystère, il vaut mieux comme le disait ce philosophe danois, cher à un frère de cette communauté, j’ai nommé Kierkegaard : « trouver le courage d’exister en tant que mystère ! ».  Pour inscrire ce mystère dans le temps, il est fondamental de reconnaître qu’il y a de la solitude, de la finitude et de l’incertitude dans toute relation d’amour.  Je m’explique.  Même au sein d’un couple qui a traversé les années, chacun reste profondément seul, c’est-à-dire singulier.  Ainsi ni l’un ni l’autre n’auront la prétention de croire tout connaître de l’être aimé.  Il y a une reconnaissance implicite du mystère qui nous lie.  Nous ne serons jamais dans la tête de l’autre.  Vient ensuite la finitude.  Cette fois, nous sommes invités à accepter qu’il y a, en chacune et chacun de nous, une part d’inconnaissance, d’immaîtrisable, de faillible, de fragile.  Nos fragilités partagées ne sont-elles d’ailleurs pas le lieu par excellence de la rencontre humaine?  Et enfin, l’incertitude est fondamentale car elle nous fait prendre conscience que l’amour est un don et non un dû.  Il est donc nécessaire de l’entretenir, de le chérir. Aimer, c’est donc croire qu’il y a un toujours quelque chose à vivre et à espérer car tout n’a pas été dit une fois pour toute.  En amour, il restera toujours de l’inédit.  Aimer, c’est également vivre pour que l’autre vive, pour qu’il puisse se chercher et surtout se trouver.  C’est le faire exister à lui-même par l’amour que nous lui portons.  En ce sens, il y a également une forme d’abandon au désir de l’autre, ou pour le dire autrement, oser se démettre de soi.  C’est précisément cela que le Christ vient nous dire lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.  Il ne s’agit pas de perdre sa vie mais plutôt d’un retrait de soi, d’un retrait en soi pour laisser également de l’espace à l’autre.  Cet abandon n’est pas une démission mais plutôt le détachement de toute prétention à vouloir que l’autre devienne ce que je projette sur lui, sur elle.  Dans toute relation d’amour ou d’amitié, nous sommes appelés à accomplir notre destinée en « devenant » sans jamais oublier que devenir c’est « venir de ».  Il est fondamental d’intégrer notre passé dans le présent de notre être pour construire le futur de notre vie.  Il y a donc lieu d’être, d’être réellement ce que nous sommes appelés à devenir.  Et veiller tendrement sur ce devenir, c’est choisir l’ouverture, accueillir l’inespéré, se défaire de ses opacités.  Dieu nous aime tel que nous sommes et tel que nous sommes appelés à devenir.  En nous aimant, Il poétise la vie.  Il l’agrandit et nous permet de laisser passer la lumière.  Il est intéressant de noter, qu’en hébreu, le terme Messie, mashiah, est l’anagramme de hasimha, c’est-à-dire la joie.  Croire en Dieu nous ouvre ainsi à cette joie intérieure et profonde. Nous rejoignons de la sorte, cette parole du Christ entendue dans l’évangile de ce jour : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite ».  Cette joie divine est le reflet de cet amour que nous sommes appelés à vivre chaque jour, même si nous ne nous aimons pas toujours avec la même intensité.  L’enjeu est que l’amour soit toujours au cœur de nos vies, au cœur de nos relations car c’est de cette manière que notre Dieu se dévoile à nous, c’est-à-dire par nous.