18ème dimanche du temps ordinaire (A)

Auteur: Philippe Cochinaux
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2019-2020

On dira ce qu’on veut, mais ce qui est clair, c’est que les disciples n’ont que ce mot-là à la bouche : « apoluson » par-ci, « apoluson » par-là.  Rappelez-vous il y a quinze jours, lorsque nous avons entendu le récit du partage des cinq pains et des deux poissons, ils avaient déjà dit à Jésus « apoluson ».  Et voilà qu’ils en remettent une couche aujourd’hui. Une fois encore, ils Lui disent « apoluson », c’est-à-dire « renvoie-la » pour la cananéenne et il y a deux semaines « renvoie-les » pour la foule dans le désert.  Vraiment peu accueillants ces disciples.  Pas le genre de personnes avec lesquels j’aurais envie de passer du temps. Vraiment, « apoluson » par-ci, « apoluson » par-là !   Quelle image nous donne-t-il d’eux-mêmes.

Pour être tout à fait honnête, l’attitude du Christ n’est pas non plus des plus sympathiques.  Je dirai même le contraire.  Oser insulter de la sorte une femme.  Mais quel manque d’éducation évident !  Pourquoi une telle dureté dans ses propos ?  Avait-il Lui aussi besoin d’être converti ?  N’avait-il pas bien saisi ce que son Père attendait de Lui ?  Cet épisode de la vie de Jésus nous étonne, nous déconcerte, nous surprend.  Quelle est la clef qui va nous permettre de comprendre ce dialogue qui est aux antipodes de ce que nous attendons du Fils de Dieu ?  Une clef possible, je crois, se trouve dans une des lettres de saint Paul.  Et pour être plus précis, la première lettre aux Corinthiens où en son chapitre 13 l’apôtre écrit : «  Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et l’amour; mais la plus grande des trois, c’est l’amour ».  En effet, ce récit de la cananéenne est empreint de ces trois vertus théologales.  Commençons par la première : la foi.  Tout au long de ce dialogue, cette femme montre une foi inébranlable et ce, malgré les rebuffades qu’elle reçoit.  Elle ne se laisse en aucune manière désamorcer par le fait qu’à sa première supplique « Jésus ne lui répondit pas un mot ».  Elle n’est pas déroutée car elle a, elle, peut-être saisi que le silence du Christ est la seule attitude possible.  Celui-ci se tait parce que, devant toute souffrance réelle, la seule attitude appropriée, la seule attitude juste c’est-à-dire ajustée, est celle de laisser toute la place au silence. Il ne s’agit pas d’un silence pesant, voire mortel. Il s’agit plutôt d’un silence qui recueille cette souffrance.  En effet, face à la souffrance, nous entrons dans le monde de l’indicible où les mots s’entrechoquent, les pensées s’embuent, les questions paralysent.  Il y a donc bien lieu de d’abord laisser place au silence tout en gardant son regard posé sur la personne exprimant sa propre douleur.  Ce silence permet de garder au cœur de notre être la foi, c’est-à-dire oser croire que rien n’est perdu à jamais, que tout peut renaître que ce soit sur cette terre ou dans la vie éternelle.  Le salut est offert à tout être humain quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, quoiqu’il ait pu faire.  Nous sommes invités à croire que Dieu peut faire quelque chose pour chacune et chacun de nous.  Vient ensuite pour la cananéenne, l’expérience de la vertu d’espérance.  Alors qu’il peut nous sembler qu’elle soit quelque peu malmenée par les propos du Christ lorsqu’elle est comparée à un chien.  N’oublions pas qu’à cette époque, le chien était aussi impur qu’un cochon.  Être traitée de la sorte n’était donc pas un compliment.  Loin s’en faut.  Et pourtant, elle garde l’espérance, pétrie de cette conviction qu’un avenir est possible. C’est la raison pour laquelle elle insiste et ne se laisse pas désemparer.  Habitée de sa foi et de son espérance, nous découvrons alors qu’elle est pétrie de la troisième vertu théologale : l’amour.  Oui, cette mère est aimante.  Elle n’agit pas pour elle-même.  Elle intercède pour quelqu’un d’autre : sa propre fille.  C’est l’amour qui l’habite qui lui permet d’agir comme elle le fait.  Cet amour lui donne la force de sa parole et pousse peut-être le Fils de Dieu à revoir sa copie et à accepter qu’il est appelé à se donner pour l’humanité entière.  Par l’accomplissement des vertus théologales dans le chef de cette cananéenne, le Christ peut lui dire : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! ».  A l’instar de ce que sa propre mère, Marie, avait dit à l’ange : « que tout se passe pour moi selon ta parole ».

Amen