Présentation du Seigneur (année A)

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 2/02/20
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2019-2020
Textes : Présentation du Seigneur au Temple (année A)

Syméon prit l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix »

Durant les premiers mois de notre existence, nous avons été longuement portés par quelqu'un d'autre… Nous avons d’abord été portés physiquement… et puis au cours de notre vie et de nos rencontres —complexes ou non— nous avons été soutenu… ou soutenu des personnes, parfois même sans le savoir. Nous le savons bien : prendre quelqu’un dans ses bras n'est jamais neutre, au point qu’on ne sait parfois plus qui porte qui, et qui soutient qui...

Dans nos rencontres, sommes ainsi portés, mais nous portons aussi… Un peu comme dans le récit de l'évangile de ce jour. Après avoir été porté pendant neuf mois dans le ventre de sa mère, Jésus est conduit par ses parents au Temple, quarante jours après sa naissance, pour être présenté à Dieu. Et c’est là que Syméon porte l’enfant et se laisse finalement guidé, emporté par lui, au point dire : maintenant que tu es venu… à moi, je peux m’en aller dans la paix !

Porter ou être porté par quelqu'un est un acte d'intimité, une proximité physique, un geste de tendresse, une relation de confiance. Et il faut reconnaître que c’est pour cela que nous ne sommes pas prêts à être soutenu par n'importe qui… Nous avons l'impression de perdre un peu de notre autonomie, de notre indépendance, de notre liberté. 

Être soutenu, c’est accepter son manque et son incomplétude. Cela paraît normal lorsque nous vivons cette expérience au début de la vie… Mais comme il est difficile, au cours de celle-ci, de se laisser guider, ou de lâcher prise au soir de sa vie. Lorsque notre cœur est trop lourd, il s’agit de le déposer dans celui d’un autre… Et dans ces moments de notre existence, nous sommes en effet appelés à vivre un chemin d'humilité, qui veut que nous acceptions de nous laisser porter.

Vous l’aurez compris, « porter et se laisser porter » est le lot de tout être humain qui s’assume, qui porte un regard lucide sur sa vie. C’est aussi la condition de toute rencontre vraie et équilibrée entre deux êtres. Prendre soin, c’est accepter aussi que d’autres prennent soin de nous, à leur manière…  Encore faut-il « bien porter », c’est-à-dire être « bien portant » comme le vieux Syméon ! Il s’agit de croire, sans certitudes, d’espérer sans sécurités, d’aimer sans s’agripper. 

Bien sûr, il y a autour de nous toutes ces personnes que nous croisons, avec lesquels nous échangeons quelques mots, et que nous ne portons pas plus que cela notre cœur…  Nous sommes aussi entourés de personnes qui préfèrent se laisser porter, par facilité peut-être, plutôt que de porter. Ou de personnes qui veulent au contraire tout porter, par fausse humilité ou surcroit d’exigence.

Cependant, il y aura aussi et surtout tous ces Syméon —dont le nom signifie Dieu écoute—, tous ceux et celles avec qui nous partageons ce que nous sommes, avec qui nous osons révéler ce qui fait la vulnérabilité de notre être. Il y a ces êtres qui nous soutiennent et nous aident à être bien portants à notre tour ! C’est comme s’ils nous offraient de la « portance », cette force de l’Esprit qui nous élève ! Grâce à ces Syméon, qui nous offrent la sagesse du temps, nous vivons alors cette espérance que Dieu nous accompagne à son tour, nous soutient par son amour, dans les moments douloureux de notre existence.

Et si dans nos rencontres, il est parfois si difficile de porter quelqu’un —voire de le supporter quand il nous tire vers le bas !— l’enfant Dieu dans les bras de Syméon nous rappelle le chemin que prend Dieu pour nous faire confiance. Aujourd'hui, par cette fête de la rencontre, Dieu attend également que nous le portions. Dieu nous invite à le prendre dans nos bras. Prendre Dieu dans ses bras, c'est choisir de vivre avec lui une relation de proximité, d'intimité. C'est devenir comme Syméon, le « bien portant » malgré son grand âge. Être comme Syméon, c’est-à-dire à découvrir que la vraie sagesse ne s’agrippe pas à des sécurités…

Syméon, au soir de sa vie,  a su encore s'émerveiller, se laisser attendrir… Il a su écouter plutôt que d’affirmer. Être bien portant, c’est cela ! Découvrir que le temps de Dieu renversera toujours nos certitudes. Comme si l’âge et le temps qui passe nous aidaient à être bien portant, à développer des ressources paradoxales pour porter davantage… A découvrir finalement que Dieu nous porte dans la vie, et qu’il s’agit d’en être ses photophores, afin qu'il soit lumière chez ceux qui cherchent consolation.

Bien entendu, toutes et nous, nous voulons être bien portants, au sens premier du terme… Mais l’évangile nous ramènera toujours à cette joie paradoxale de la fragilité —que nous estimions notre vie réussie ou non, accomplie ou pas. L’évangile nous invitera toujours à cette joie de l’abandon fécond, qui comme Syméon, ose dire : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix. »

Amen.