28ème dimanche ordinaire

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 9/10/22
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2021-2022

Étrangers sur notre propre terre. Visiblement, le propos des lectures d’aujourd’hui est de valoriser les étrangers. Dans la première lecture, Naaman, qui est un général syrien, est guéri par le prophète Élisée. C’est une époque où la Syrie et Israël sont en guerre. Naaman a tout pour être repoussant : il a la lèpre ; il est un ennemi. Voilà qui nous donne la mesure de la tension qui se joue. Tout sépare Élisée et Naaman. D’autant qu’Israël est au bord de la guerre civile et que le prophète ne cesse de dénoncer les élites qui se tournent vers les dieux étrangers. La nation perd la foi.

Précisément la foi que gagne Naaman. D’abord incrédule, une fois guéri, il ne se sent plus de joie ; il veut couvrir de cadeaux Élisée qui refuse. Le texte devient alors touchant « Permets que j’emporte avec moi de la terre de ce pays, pour y offrir des sacrifices au Dieu d’Israël ». C’est la terre qui crée l’appartenance – s’ancrer sur le même sol ; être issu du même terroir. L’étranger, lui, est celui qui a poussé sur une autre terre.

Autre chose qui distingue l’étranger c’est sa foi. L’étranger c’est celui qui ne vit pas comme nous ; ne prie pas comme nous ; ne pense pas comme nous ; ne partage pas nos valeurs – du moins pas toutes – qui n’a pas les mêmes fondements culturels, avec lequel il est parfois difficile de se comprendre. Et, comme dans l’Antiquité foi et sol sont très liés, on comprend le geste d’emporter un peu de la terre d’Israël – de la Terre promise – à demeure.

L’épisode rapporté par l’Évangile présente, avec la guérison du général syrien, beaucoup de similitudes : il s’agit encore de lèpre ; il s’agit encore d’être sauvé par sa foi et il s'agit encore d’un étranger : un Samaritain cette fois.

A l’époque de Jésus, les Samaritains sont les ennemis religieux d’Israël, les deux peuples sont juifs, mais se détestent. Ils pratiquent un culte semblable – tous célèbrent la Pâque notamment – mais s’écharpent sur le lieu du Temple : Jérusalem pour les uns ; Samarie pour les autres. Rien n’est pire qu’une querelle de clochers. C’est le cas et c’est féroce : on se méprise ; on s’insulte ; on change de trottoir quand on se croise. Il y a un épisode de l’Évangile [Lc 9, 51-56] où un village de Samaritains refuse de recevoir Jésus … « parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem ». C’est dire la haine entre les deux peuples, chacun accusant l’autre d’être un juif hérétique !

A plusieurs endroits Jésus dénonce le racisme anti-samaritain, par la parabole du Bon Samaritain que nous connaissons tous ; aussi par la rencontre avec une femme samaritaine à midi au bord d’un puits. Dans la bouche de Jésus, ces méprisables étrangers que sont les Samaritains sont remarqués pour leur accueil, leur charité et, ici, leur reconnaissance envers Dieu. Parmi les dix qui ont été guéris, qui revient rendre grâces à Dieu ? C’est précisément le Samaritain, ce juif approximatif que tout le monde déteste.

Évidemment, ces textes résonnent avec le contexte actuel où les flux migratoires inquiètent. Nous sommes face au problème de l’accueil des étrangers, dans un temps de globalisation fulgurante. Comment résoudre à nouveau cette équation de l’amour du prochain, de la générosité chrétienne et de l’accueil de la souffrance d’autrui avec un Occident qui se trouve en perte de repères et de valeurs, traversé par des questions d’identité ; qui perd même le sens de la notion de peuple et de religion ? Comment accueillir ceux qui sont pourchassés pour qui ils sont, quand nous-mêmes ne savons plus très bien qui nous sommes ?